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Affaire Jean Moulin : René Hardy, le "traître amoureux" de juin 1943
Il aura aimé se présenter comme un vainqueur vaincu René HARDY ! Du moins à lire l'un de ses ouvrages et notamment le dernier : Derniers mots publié en 1984 chez Fayard. Des mots qui seraient plutôt assimilables d'après Henri NOGUERES, le président de la Ligue des Droits de l'homme, à des mensonges. C'est vrai aussi que le nom de cet homme né en octobre 1911 et licencié es-lettres restera éternellement un mystère pour l'Histoire et la Résistance française. Un mystère parce qu'on a écrit énormément de choses sur lui et que les langues semblaient s'être déliées au fil des années, comme si, avant qu'ils disparaissent les uns après les autres, des souvenirs avaient soudain jailli de la mémoire de certains de ceux qui restaient étroitement mêlés à l'arrestation de Jean MOULIN survenue le 21 juin 1943 et de quelques autres résistants. Ce qu'il faut reconnaître à René HARDY c'est la méticulosité avec laquelle il aura réfuté toutes les accusations, se basant parfois sur des approximations de dates dans les témoignages versés au dossier Caluire. Que les accusations soient venues de Raymond AUBRAC, ou de Klaus BARBIE voire du fameux rapport retrouvé à Marseille chez DUNKER-DELAGE. Il n'en reste pas moins que d'importantes zones d'ombre persistent et qu'on a probablement voulu en fin de compte ne pas trop salir ce qui restait de beau dans cette Résistance qui avait lutté comme elle pouvait contre les nazis.
Lydie BASTIEN, elle-même, par le truchement d'un exécuteur testamentaire avec lequel elle avait pourtant fini par être en conflit, fera préciser un certain nombre de choses quant à ceux qu'elle avait roulé dans la farine. HARDY alias DIDOT en fera partie en bonne marionnette que cette femme devait prendre plaisir à voir danser. Comme quelques autres. Danser, Robert MOOG et Jean MULTON, deux des autres vendus aux nazis s'y emploieront également et dans un premier temps en soirée du 7 au 8 juin dans ce train entre Lyon-Perrache et Paris, proposant même à René HARDY une courte halte à Châlon-sur-Saône à une heure du matin qui le mènera finalement à Lyon dans les locaux d'un Klaus BARBIE venu à sa rencontre. D'après ce qui a été affirmé, on dit qu'HARDY aurait reconnu MULTON en compagnie de MOOG sur le quai de la gare avant de prendre son train à Lyon, parce qu'il l'avait croisé quelques semaines plus tôt à Marseille alors que celui-ci opérait encore au sein de la mouvance Combat sous le nom de Lunel et sans apparemment que celui-ci lui fasse un signe amical. On pourrait donc se demander pourquoi l'ancien responsable cheminot ne s'est pas davantage senti en danger devant un tel mutisme de MULTON et la raison pour laquelle il a tout de même tenu à prendre son train avant de se faire alpaguer. Devant autant de manque de discernement il est facile d'imaginer quel plaisir a pu éprouver cette fiancée tombée du ciel, Lydie BASTIEN qui faisait de lui ce qu'elle voulait.
Une fois interpellé par MOOG et MULTON en gare de Châlon-sur-Saône et avoir été incarcéré, MOOG et MULTON étant partis pour Paris où DELESTRAINT sera arrêté à son tour une trentaine d'heures plus tard, certains prétendront que les nazis et BARBIE lui-même avaient "retourné" René HARDY en le menaçant de s'en prendre à cette jeune beauté d'une vingtaine d'années qu'il avait rencontrée dans un bistrot où il avait ses petites habitudes. Cette Lydie BASTIEN avait déjà un tableau de chasse époustouflant et cet homme de 32 ans nourrira une passion sans bornes pour elle ! Pour cette "poulette" tombée miraculeusement du ciel qui partageait déjà la couche de l'adjoint de BARBIE, un dénommé Harry STENGRITT, ce René c'était il est vrai du pain béni d'autant qu'il était à la tête d'une organisation en charge d'une centaine de gares et du noyautage d'un grand nombre d'administrations publiques. Des responsabilités qui n'étaient pas inintéressantes pour des nazis comme MOOG ou BARBIE. Jouant de sa passion pour l'allumeuse qu'était cette Lydie BASTIEN, ceux-ci feront à leur tour de René HARDY ce qu'ils voudront et tout porte donc à croire à une version mouillant l'inspecteur de la SNCF et au fait qu'il ait pu vendre Jean MOULIN aussi facilement aux nazis. Même s'il s'en est défendu jusqu'à la fin. Arrêté une seconde fois après les événements de Caluire, HARDY passera d'ailleurs aux aveux le 19 décembre 1944, cette fois-ci devant des policiers qui n'avaient plus aucune ressemblance avec les collabos d'antan ni leurs amis nazis lyonnais ! Avant de tenter de se disculper en janvier 1947 avec l'aide d'une maîtresse peu décidée à ce qu'on remonte jusqu'à elle, même pour tenter de cerner les responsabilités des uns et des autres dans ce qui reste une véritable mise à mort de Jean MOULIN ! Mais, les nazis vaincus et privée du soutien de gens comme BARBIE ou STENGRITT, Lydie BASTIEN avait-elle une autre solution ? L'élément à charge impliquant HARDY est aussi issu d'un témoignage d'Edmée DELETTRAZ qui dira l'avoir vu en fin de matinée à l'Hôtel Terminus le 21 juin en compagnie de dignitaires nazis. Compromise par des liens qu'on ne s'explique toujours pas complètement comme cette prétendue liaison avec Robert MOOG, cette version sera contredite par un dénommé Roger BOSSE, lieutenant de son état et agent de liaison de HARDY, qui prétendra avoir déjeuné ce jour-là avec lui.
Evoquant le rendez-vous de Caluire chez le docteur Frédéric DUGOUJON le 21 juin 1943, HARDY, tentera de minorer ses responsabilités, soulignant le nombre anormal de personnes qui, finalement, en plus des participants, savaient qu'une réunion importante devait se tenir sous la présidence de Max : de GRAAFF, de BENOUVILLE, la fille du colonel LACAZE, un capitaine de gendarmerie, un intendant militaire, le colonel GARNIER... S'il est vrai que des fautes et des indiscrétions ont été commises, il n'en reste pas moins que la réunion de Caluire était de ce fait devenue exceptionnellement vulnérable. Lorsqu'HARDY arrivera au rendez-vous devant la ficelle en compagnie d'AUBRY qui lui avait demandé de l'accompagner pour que les intérêts du mouvement Combat soient mieux défendus, LASSAGNE se montrera du reste surpris de l'y trouver. D'autant qu'après l'arrestation de DELESTRAINT, Jean MOULIN avait intimé l'ordre à ses complices de n'accepter aucun rendez-vous avec HARDY, se méfiant déjà de lui. Reste l'histoire des menottes que l'ancien responsable cheminot expliquera en précisant pour se disculper lors de ses procès que les nazis n'avaient pas eu assez de bracelets en bon état pour tout le monde et qu'il avait donc hérité pour sa part d'une chaînette d'accompagnement ou cabriolet dont il parviendra assez miraculeusement à se défaire. Encore que cette histoire de fuite réussie, un véritable simulacre d'évasion, et de balles qui ne l'atteindront pas, reste peu vraisemblable ! Dans un ouvrage de Jacques GELIN publié chez Gallimard : L'affaire Jean Moulin qui est cependant difficile à déchiffrer, cette histoire de fuite démontre bien qu'on aurait assisté à une véritable mascarade !
On retrouvera effectivement en septembre 1944 à Marseille un rapport Flora rédigé le 19 juillet 1943 qui précisera que c'est grâce à l'arrestation de HARDY-Didot opérée le 8 juin 1943 dans le train Lyon-Paris que les arrestations de Caluire ont pu intervenir. Même rédigé par un certain Ernst DUNKER-DELAGE, un ancien voleur et proxénète allemand. En incriminant HARDY, il finira par le rendre suspect aux yeux de ceux qui croyaient encore à lui malgré ce qui s'était passé à Caluire et cette fuite pour le moins assez rocambolesque. Car, pour qu'il ait réussi ce 21 juin-là à prendre la poudre d'escampette sans que les sbires de BARBIE ne soient parvenus à faire mouche avec leurs revolvers, c'est bien que tout avait été préparé... Poursuivi à deux reprises, en 1947 et en 1950, cet homme orgueilleux et fier aura cependant la chance d'avoir été défendu devant les tribunaux par une figure du barreau, savoir Maurice GARÇON (photo ci-contre) et celle que l'on ait pris la décision d'éliminer avant la tenue de son procès d'autres agents de la Gestapo singulièrement compromis comme le traître Jean MULTON fusillé au Fort de Montrouge avant le procès. Notons néanmoins que le second procès de 1950 condamnera René HARDY soupçonné d'avoir, là encore, livré aux Allemands les données du "plan vert" qui devait permettre à la Résistance de saboter des lignes de chemin de fer juste avant le débarquement. Deux mois après le premier procès, l'homme de plus en plus mal dans sa peau reconnaîtra avoir menti aux juges et il produira de nouveaux aveux après avoir été arrêté une fois de plus ! Mais il est vrai qu'il avait bénéficié en 1947 d'une incroyable clémence des juges liée au fait que l'on considérera qu'il avait agi par égarement et non par réelle volonté de collaborer avec les nazis. On notera cependant qu'appartenant au mouvement Combat il n'était, lui aussi, pas très favorable au fait que des ordres puissent être donnés à la Résistance de Londres, ni au fait d'être sous l'autorité de Charles DELESTRAINT au sein de l'Armée Secrète. Alors que celui-ci en avait pourtant fait son second en le nommant lieutenant-colonel !
En 1950, lors du second procès, le couperet sera à deux doigts de tomber puisque quatre voix parmi ceux qui devaient le juger le déclareront coupable alors qu'il en aurait fallu cinq pour le condamner. Il est également indéniable que si le premier procès avait eu lieu en 1945 et non deux ans plus tard, HARDY aurait risqué gros et qu'il aurait eu droit à... douze balles dans la peau ! On pourrait également se demander au vu du dossier et des multiples accusations proférées par les uns et les autres pour quelle raison on a pas organisé de reconstitution des faits sur place dès le début 1945. Il n'en reste pas moins qu'à l'initiative de certains résistants appartenant en majorité au Parti Communiste, une sorte de contre-procès se tiendra salle Wagram à Paris sous l'autorité de Laure MOULIN, la soeur de Jean, et un châtiment exemplaire y sera demandé à l'encontre de René HARDY. On dit que Lucie AUBRAC elle-même convaincue de la culpabilité de ce dernier, aurait tenté de l'empoisonner peu de temps après son arrestation en 1943 avec une préparation frelatée.
Mais aujourd'hui, plus de quatre-vingt ans après les faits, que croire au bout du compte, tant les avis de ceux qui survivront longtemps divergent sur René HARDY et un homme marqué enfant par un père alcoolique, qui aura néanmoins pu achever une existence sans être trop tourmenté en devenant écrivain et scénariste pour le film Triple cross ? Est-ce qu'il faudrait accepter de prendre en compte les accusations que porte ce HARDY sur Henry AUBRY qui, d'après lui, est plus que mouillé dans l'arrestation du Général DELESTRAINT ? Oui, qui croire puisque Klaus BARBIE avait quelques comptes à régler avec tous ces anciens opposants et que l'occasion était trop belle de semer une fois de plus la pagaille. A la lecture de son ouvrage "Derniers mots" René HARDY se trahit à un moment donné lorsqu'il avouera avoir su utiliser la corruption pour couvrir ses arrières. Le docteur DUGOUJON interrogé au moment du procès BARBIE (extrait vidéo ci-dessous) refusera quant à lui de prendre position quant à la culpabilité éventuelle de René HARDY préférant s'en tenir à la décision de relaxe prise par les tribunaux en 1947 et 1950. Le récit de ces arrestations, tel qu'il a été fait à un journaliste brésilien par le "Boucher de Lyon" n'est au surplus qu'une accumulation de détails manifestement inexacts et de contre-vérités flagrantes ! Notamment quand le responsable nazi prétend que HARDY aurait tenu à aller en personne à Paris pour y organiser l'arrestation de DELESTRAINT, qu'il se serait rendu auprès du second du général, et qu'il se serait fait décrire minutieusement un général qu'il ne connaissait pas... ce qui n'est pas exact. Alors qu'HARDY était, le 9 juin, à la prison de Chalon ! De plus, il connaissait parfaitement Charles DELESTRAINT ! Enfin, et c'est l'un des points essentiels de cette affaire, tout permet de penser que l'ancien responsable cheminot n'avait pas encore eu l'occasion de rencontrer BARBIE le 9 juin, bien que celui-ci ait prétendu s'être trouvé à Chalon, dans la nuit du 7 au 8 juin pour l'attendre. Comprenne qui pourra !
Après la guerre, HARDY deviendra donc écrivain et scénariste. Le plaidoyer de son avocat, Maurice GARÇON, puis l'adaptation pour le grand écran d'un film contribueront à sa notoriété littéraire. Il décédera en 1987 en étant cependant assez démuni à l'inverse de tous ses autres compagnons d'armes et ses dernières réflexions montrent que l'homme avait compris bien des choses. Il dira en effet, peu avant sa mort: « Les femmes et les putains furent mon problème : savoir les distinguer, c'est une épreuve, quoi qu'on en dise, fort difficile ». Parlait-il de son amour passionné et déraisonnable pour une Lydie BASTIEN, son "petit lapin bleu", qui n'était en fait qu'une misérable pute et qu'il ne reverra plus après le second procès de 1950 ? C'est probable.
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