• Robert Lynen ou l'enfance brisée de "Poil de carotte"

    Robert Lynen l'enfant révolté

    Révélé grâce à une composition remarquée aux côtés d'Harry BAUR dans le film Poil de carotte de Julien DUVIVIER, Robert LYNEN était considéré avant-guerre comme le plus jeune acteur vedette français, grâce à un rôle qui l'avait fait remarquer. Mais, en septembre 1939 est survenue une guerre impitoyable.

    Robert Lynen l'enfant révolté

    Né le 24 mai 1920 à Sarrogna dans le Jura, Robert LYNEN, élève à l'école du spectacle où l'avait inscrit sa mère, avait pourtant tout pour devenir un très grand acteur. D'autant que ce première production lui avait permis d'enchaîner avec d'autres films et un autre partenariat remarqué, cette fois-ci aux côtés de Louis JOUVET après avoir incarné pour Marc ALLEGRET, le héros orphelin qu'était Rémy dans Sans Famille (1934). Du jour au lendemain ce Poil de carotte devenu célèbre fera de Robert un artiste qui n'arrêtera plus de tourner. On le verra ainsi apparaître à l’écran en 1936, cette fois sous les traits d'un adolescent dans une courte séquence de La Belle équipe de Julien DUVIVIER qui l'avait révélé, cette fois-ci en compagnie de Charles VANEL, de Viviane ROMANCE et de Jean GABIN. Un extrait vidéo de cette production a pu être numérisé (à voir ci-dessous). A noter que Julien DUVIVIER le fera tourner à quatre reprises. Mais, pour beaucoup, Robert LYNEN restera éternellement l’enfant souffreteux et mal aimé venant à l’esprit lorsque l’on évoquera ensuite son souvenir. Pourtant, en 1938, l’année de ses dix-huit ans, Robert tenait encore un rôle important dans Mollenard de Robert SIODMAK aux côtés de Gabrielle DORZIAT et d'Albert PREJEAN et dans Le petit chose (affiche ci-contre). Des taches de rousseur, un caractère trempé dans l’encre du désespoir : il est vrai qu'à douze ans Robert LYNEN s’était sans doute nourri de sa propre enfance tragique, endeuillée par la mort d'Edgar, son frère aîné, survenue en 1925 à la suite d’une blessure au genou mal soignée, cinq ans après sa naissance dans un environnement familial particulier. Entouré par une mère artiste et un père qui, dessinateur, avait tout abandonné pour ne vivre que de sa production de peintre et d'un élevage de chèvres, ces rôles d'enfant ou de jeunes gens ballottés et écrasés par un destin trop lourds pour eux lui permettront de se faire sans doute davantage connaître. Ce qui ne l'empêchera pas de multiplier ses conquêtes féminines souvent éphémères, ainsi qu'il le racontera assez lestement en 1940 au scénariste Carlo RIM : « J'en ai pourtant baisé des filles et beaucoup je te jure […] presque toutes des figurantes et debout dans les loges, ou des petites vendeuses des Champ's qui voulaient un autographe. J'ai même eu une vieille de la Comédie-Française, d'au moins trente-cinq ans ! »

    Robert Lynen ou l'enfance brisée

    Dès la création des premiers chantiers de jeunesse pétainistes, âgé de vingt ans, il sera malheureusement contraint de rejoindre l'un d'entre eux, tout en sachant déjà quelles étaient les priorités qu'il se devait d'accorder à une existence et cela alors que son pays était occupé par l'ennemi nazi. Et les priorités, ce sera un engagement dans la Résistance après avoir tenté d'échapper à ce Chantier de Jeunesse en suivant le comédien Jean-Pierre AUMONT dans une tournée théâtrale. Il venait d'apprendre le démantèlement d'un petit réseau clandestin marseillais dirigé par son beau-frère Pierre HENNEGUIER pour lequel il avait déjà accompli quelques actions et il venait de rencontrer Jean-Louis CREMIEUX, alors chef du réseau de renseignements Alliance pour le secteur de Marseille. Son beau-frère se souviendra que quand la guerre avait éclaté, il voulait à tout prix faire sauter sans attendre les usines travaillant pour l’ennemi, saboter les voies ferrées, dynamiter les ponts, couler les navires. Et il voulait pendre "haut et court" aux branches des platanes des allées de Meilhan tous les pétainistes qui acceptaient la collaboration. Ce sera le plus beau rôle de ma vie, dira t-il à la responsable du réseau, Marie-Madeleine FOURCADE. Pendant quelques mois il réalisera des activités clandestines qu'il cachera derrière une entreprise marseillaise, Azur-Transport, qu'il avait créée avec son beau-frère et installée au 40, rue Sainte-Bazile en haut de la Canebière. Au début de la présence allemande en zone sud fin 1942, il continuera à transmettre et à collecter des informations filmant notamment tout ce qui concernait l’armée allemande dont les installations se mettaient en place. Bien loin de la fiction cinématographique, on peut dire qu'il en a payé le prix le plus élevé tout en montrant sa vraie grandeur. Après avoir été trahi il sera arrêté au château de Fontcreuse en février 1943 par la Gestapo à Cassis où il s'était installé. Avec son amie l’actrice Assia et Robert VERNON son ami irlandais qui sera fusillé avec lui quelques mois plus tard. Devenu jeune sous-lieutenant des Forces françaises libres sous le nom de l’Aiglon en référence au drame d’Edmond ROSTAND, il sera torturé et croupira un an en prison en Allemagne, essayant de s’échapper à deux reprises et refusant de travailler pour la UFA allemande de Joseph GOEBBELS. On l’entendra chanter le soir dans sa cellule, relatera un déporté à la Libération. Son procès se déroulera les 15 et 16 décembre 1943 devant le 3e Senat, présidé par le juge SCHMAUSER. L’administration judiciaire du Tribunal de guerre du Reich RKG, considérera Robert LYNEN comme le chef de dix autres co-inculpés et le condamnera à la peine capitale pour activité d’espionnage au profit d’une puissance ennemie. Le jugement sera confirmé le 20 janvier 1944 à Torgau par l’amiral BASTIAN, président du RKG et Robert sera fusillé avec ses camarades le 1er avril 1944 à Karlsruhe, deux mois avant de fêter ses 23 ans. 

    Fauché en pleine jeunesse, cet éternel adolescent au visage à la fois grave et juvénile restera à jamais Poil de Carotte, le jeune héros mal-aimé de Jules RENARD immortalisé à l’écran par Julien DUVIVIER en 1932. Seul acteur de 23 ans à avoir été passé par les armes pour faits de Résistance, généreux, chaleureux, spontané, élancé, naturellement distingué, il savait être à l’occasion gouailleur mais sans vulgarité en roulant parfois les mécaniques. Au gré de sa fantaisie, il pouvait être également prince charmant ou Titi parisien. D'abord enterrée dans une fosse commune, sa dépouille sera rapatriée en décembre 1947 et Robert LYNEN recevra l’hommage d’une messe solennelle en la chapelle des Invalides. Un gala sera ensuite organisé en son souvenir et en celui de Jean MERCANTON, un aitre jeune et brillant acteur également disparu. La Cinémathèque scolaire de la Ville de Paris sera baptisée de son nom en 1968. 

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