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Jacques Verges, le "salaud lumineux"
Adepte du principe de la rupture (1) et toujours attiré par les solutions radicales l'homme n'aura pas cessé de provoquer jusqu'au bout et jusqu'au terme d'une existence de passionné pour la défense des êtres. Ce parcours romanesque et sulfureux de l'avocat Jacques VERGES, enfant adultérin fils d'un consul réunionnais, entré dans la profession sans vocation - c'est ce qu'il avouait - aura incité plusieurs journalistes dont Thierry ARDISSON à consacrer à cet homme souvent vilipendé le reportage qui suit. Très vite passionné par la politique et après avoir participé à une première manifestation en 1936, il s'engagera dans les forces françaises libres à 17 ans, devenant ensuite l'avocat du FLN durant la guerre d'Algérie après avoir été membre du Parti Communiste. Avant, après coup, de disparaitre mystérieusement pendant huit ans. Une période sur laquelle il n'est jamais revenu conservant une part de mystère qu'il a emportée avec lui quand il nous a quittés en 2013. Réapparu au début des années 80 et devenu "l'avocat du diable" en défendant les terroristes comme CARLOS et ABDALLAH, et encore plus curieusement le nazi Klaus BARBIE (photo en tête d'article) voire le dictateur serbe Slobodan MILOSEVIC devant le Tribunal Pénal International, il ne cessera plus sur la fin de défendre ceux que l'on considérait comme des êtres indéfendables. Omar RADDAD, le jardinier marocain qui n'avait selon lui que le tort d'être Maghrébin comme DREYFUS n'avait que le tort d'être juif, voire la bonne dame de Nancy Simone WEBER et l'ancien Président de la Côte d'Ivoire Laurent BAGBO feront partie de ses derniers clients connus avec le Préfet BONNET connu pour avoir fait incendier des paillottes en Corse.
« Quand je suis insulté par des gens que je méprise, c'est un bonheur rare », aimait-il à dire en ricanant lorsqu'on lui demandait s'il était facile d'accepter des critiques comme celles qui avaient fleuri après le procès de Lyon où il avait eu à défendre l'ancien tortionnaire nazi Klaus BARBIE poursuivi notamment pour crimes contre l'humanité. Alors qu'il avait été décoré au sein des FFI de la médaille de la Résistance pour s'être illustré dans la poche de Royan pendant la guerre, un acte qu'il résumait avec un : « Sans la France, le monde serait seul ! » ce souhait de défendre l'assassin des enfants d'Yzieu avait il est vrai été mal perçu par l'opinion et ce qui restait encore d'anciens résistants. A la fin des années cinquante, alors qu'il avait été surnommé en Algérie "Mansour" (le victorieux) il fera gracier l'une des têtes pensantes du FLN, Djamila BOUHIRED qui avait été condamnée à mort pour avoir participé à des attentats meurtriers et qu'il finira même par épouser en 1965 avant d'en divorcer cinq ans plus tard. Djamila BOUHIRED (photo ci-contre) faisait partie à l'âge de vingt ans des six femmes proches du FLN qui seront condamnées à mort et elle aura à subir la torture après avoir elle-même été blessée en avril 1957. VERGES n'avait pas caché que si Djamila avait été exécutée, il aurait probablement commis un meurtre après avoir demandé un rendez-vous à des gens comme LACOSTE ou le général MASSU. Soutenue par une intense campagne internationale orchestrée par Jacques VERGES, Djamila sera néanmoins graciée en 1959 par le président de GAULLE puis libérée en 1962 dans le cadre des accords d'Evian. Un épisode sur lequel revient depuis hier France Télévision en consacrant deux soirées à cette guerre. Le nom de cette femme résume à lui seul encore aujourd'hui cette guerre d’Algérie, la bataille d’Alger, la torture, l’infamie, l’héroïsme et la liberté. La vie, qui est injuste, n’a jamais distribué ses bienfaits ni ses épreuves : certains en ont eu trop, même sans avoir rien demandé.
Jacques VERGES lui qui avait fini par quitter Djamila et les deux enfants qu'il avait eu avec elle, sans doute parce que converti à l'islam, cette vie ne lui convenait plus, n'a jamais dévié de la ligne qui était la sienne et il s'en expliquait lors du portrait que vous pourrez découvrir en fin d'article. « Nous vivons aujourd'hui, disait-il, dans un monde très pauvre en idées, un monde où la pensée unique règne de façon très simpliste et qui au nom des droits de l'homme massacre des gens à droite et à gauche ». Dans le reportage qui suit, il revient aussi sur ce qui l'avait toujours amené à préférer certains dossiers à la grande majorité de ce qui lui était proposé. « J'essaie toujours de comprendre ce qui amené un criminel à faire ce qu'il a fait ! » répondait-il toujours quand on l'interrogeait sur ses choix et sur le fait qu'il ait souvent défendu de véritables criminels comme le nazi Klaus BARBIE en n'hésitant pas à se servir de toutes les armes à sa disposition, même pour outrager les survivants. Une de ses répliques lancée à Lyon en mai 1987 est restée célèbre qui le verra indisposer singulièrement les Juifs présents dans la salle de tribunal aux côtés de leurs trente-neuf avocats puisqu'il dira à propos de sa propre mère qu'elle n'avait pas besoin de porter d'étoile jaune puisqu'elle était jaune de la tête aux pieds ! Il reconnaîtra d'ailleurs devant Thierry ARDISSON que tout ce qui était de nature à choquer les autres l'amusait ! « C'était euphorisant d'avoir face à moi ces trente-neuf avocats des parties civiles alors que j'étais seul pour défendre BARBIE ! Qu'est-ce que ce salaud va encore inventer aujourd'hui disaient-ils à mon propos ! »
En 2009, alors qu'il était encore très actif à 85 ans, il avait eu l'occasion de jouer une pièce de théâtre qu'il avait écrite : Serial plaideur dans laquelle il expliquait plus qu'il ne jouait quel était son rôle de défenseur. Ruiné, sans doute pour ne pas avoir été toujours rémunéré comme il aurait dû l'être et n'étant guère un homme sensible au profit, Jacques VERGES qui avait toujours mené un grand train de vie, laissera à son décès pour 600.000 € de dettes diverses avec des frais d'obsèques qui auraient été pris en charge par l'ordre des avocats de Paris. Malgré son intervention dans le procès intenté au nazi BARBIE en 1987, les gens dans une très large majorité conservent de lui une image assez bienveillante, sans doute liée à la grande culture de l'homme et au fait qu'il n'ait jamais cru utile d'écarter personne de son cabinet parisien de la rue Vintimille. Mais comment aurait-il pu le faire lui qui avouait avoir gardé de sa Réunion natale et dès son plus jeune âge (ci-contre) l'image d'une région où les moins nantis devaient s'écarter pour laisser passer les Européens ! Ce qui fondera son envie de s'engager dans les Forces Françaises Libres pour, dès 1941, s'opposer au racisme hitlérien !
(1) Opposition avec une insolence calculée aux valeurs défendues par un juge, ce qui est une stratégie de remise en cause de la légitimité d'un tribunal.
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