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Marie-Claude Vaillant-Couturier, la noblesse d'un peuple
Il nous reste d'elle cette voix brisée par l'émotion et ce témoignage du 28 janvier 1946 lors du procès de Nuremberg face aux dignitaires nazis responsables de la mort de ces millions de gens ! Un témoignage que nous vous invitons à découvrir ou redécouvrir ci-dessous.
Marie-Claude VOGEL épouse VAILLANT-COUTURIER, La Dame au Rolleiflex, comme on la surnommait alors du nom des appareils photo de l'époque, est née le 3 novembre 1912 à Paris, et elle sera l'aînée des enfants de Lucien VOGEL et de Cosette de BRUNHOFF, une famille protestante aisée qui avait soutenu le capitaine DREYFUS au moment de la célèbre affaire. Bien qu'assez bourgeois, ses parents dirigeaient des revues culturelles ou consacrées aux loisirs et son père membre de la SFIO, s'était prononcé au congrès de Tours de 1920 pour l’adhésion à la IIIe Internationale Communiste tendant à la création du Parti Communiste Français. Les parents de Marie-Claude recevaient souvent chez eux et la fillette qu'elle était se souviendra y avoir vu des gens comme EINSTEIN, DALADIER, Paul REYNAUD et même le roi GUSTAV de Suède, PICASSO, Fernand LEGER, André GIDE, René CLAIR et tout ce que le monde comptait de savants, d’écrivains, de peintres. Avec des tables de 14 ou 16 personnes et des conversations qui se terminaient parfois en engueulades terrifiantes. Profondément engagée au sein du PCF après avoir intégré les Jeunesses Communistes en 1934, Marie-Claude épousera en 1937 Paul VAILLANT-COUTURIER, le rédacteur en chef de l'Humanité dont elle partageait l'existence depuis trois ans et de vingt ans son aîné. Un nom qu'elle conservera même après ses remariages, sans doute pour honorer sa mémoire. Elle qui voulait plus jeune devenir peintre, choisira au retour d'un premier reportage en Allemagne de devenir photographe de presse. Marie-Claude intégrera un peu plus tard à l'Humanité le service photo où elle aura l'occasion de côtoyer Gabriel PERI. Première épreuve, le décès de son mentor d'époux puisque Paul décédera d'un infarctus en 1937 conséquence semble-t-il d'une altération grave du foie et des reins remontant à plusieurs années et qui avait fait de cet homme quelqu'un d'usé à cause de l’ypérite qu’il avait inhalée pendant la guerre de 1914-18. Il n'avait que quarante-cinq ans. Une mort brutale dont Marie-Claude ne ressentira véritablement la douleur qu’après, à la façon de celle qui survient quand le choc d’une balle ouvre une blessure dans la chair et la pensée, comme l’ont écrit tant d’auteurs et témoigné tant de victimes et tant d’amis de Paul VAILLANT-COUTURIER blessés pendant la Grande Guerre. Mais que sait-on aujourd'hui, longtemps après sa disparition, de cette brillante reporter-photographe dont le poète ARAGON disait, en 1937, qu’elle était à vingt-cinq ans d’une beauté scandaleuse ? Pour André MALRAUX elle était de celles qui font la noblesse d’un peuple.
Parlant couramment l'allemand, c'est une enquête journalistique sur la montée du National-socialisme en Allemagne entreprise en compagnie de Philippe SOUPAULT qui lui permettra de mesurer dès 1932 l'impact de la propagande nazie sur la population après avoir assisté à un meeting d'Adolf HITLER. Dans son hôtel de la capitale du futur Reich, elle empruntera un soir l’ascenseur déjà occupé par un client pas comme les autres : le futur Führer. « Dire que j’aurais pu le tuer ! J’ai de tout temps frôlé l’histoire » confiera-t-elle modestement plus tard. Elle découvrira ensuite clandestinement et en qualité de photographe l'univers des premiers camps de concentration d'Orianenburg et Dachau et une liaison avec le Résistant et député de l'Allier Paul GINSBURGER dit Pierre VILLON qu'elle épousera en 1949, l'amènera dès 1940 à entrer dans la Résistance. Cela malgré l'adhésion du PCF à un pacte entre HITLER et STALINE. Elle y luttera aux côtés de Danielle CASANOVA, Jacques DECOUR, Georges POLITZER et Jacques SOLOMON. Participant en tant que rédactrice à des activités de presse clandestines, elle sera arrêtée en février 1942 par la police pétainiste et livrée aux Allemands. Jusqu'à sa déportation à Auschwitz au début de l'année suivante en janvier 1943, elle restera enfermée à la Santé puis au Fort de Romainville. Elle restera dans l'horrible camp polonais dix-huit mois durant. On la transfèrera ensuite à Ravensbrück en août 1944 avec Germaine TILLON, Marie-Jo CHOMBART de LAUWE et sa mère, un camp où régnait une grande mortalité. Des 230 femmes résistantes, seulement 45 d'entre elles survivront. Malgré la libération du camp par l'Armée rouge et une prise en charge de la Croix Rouge suédoise, elle restera sur place soucieuse de se rendre utile et pour soigner ou apporter un peu de réconfort à ceux qui étaient les plus atteints. Comme l'écrira un journaliste témoin de cet engagement, c'était une grande soeur de la Charité qui voulait redonner de l'espoir autour d'elle. Elle ne reviendra en France qu'à la fin juin 1945. Elle sera de suite intégrée au Parlement et deviendra l'une des premières femmes députées. Siégeant longtemps en qualité de députée, elle deviendra même très justement vice-présidente de l'Assemblée Nationale en 1956.
Témoin essentiel de l'accusation au Procès de Nuremberg le 28 janvier 1946 et du génocide des Juifs et des tziganes (photo ci-contre), elle dira, non sans une certaine émotion à la barre du tribunal : « En racontant les souffrances de ceux qui ne pouvaient plus parler, j'avais le sentiment que, par ma bouche, ceux qu'ils avaient torturés, exterminés, accusaient leurs bourreaux. Passant devant les dignitaires nazis, elle les toisera leur disant : « Regardez-moi bien car, à travers mes yeux, des milliers d’yeux vous regardent, et, par ma bouche, des milliers de voix vous accusent ». Au terme d'un long témoignage qui irritera le gros Herman GOERING, Marie-Claude décrira ainsi l’arrivée des femmes du convoi à Auschwitz, le 27 janvier 1943 au matin : « Le voyage était extrêmement pénible, car nous étions soixante par wagon et l’on ne nous a pas distribué de nourriture ni de boissons pendant le trajet. Comme nous demandions aux arrêts aux soldats lorrains enrôlés dans la Wehrmacht qui nous gardaient si l’on arrivait bientôt, ils nous répondront : “Si vous saviez où vous allez, vous ne seriez pas pressées d’arriver” ». Affaiblie, elle contractera elle-même le typhus qui lui demandera deux mois avant qu'elle parvienne à l'éradiquer. Marie-Claude qui faisait partie de la Résistance du camp en profitera pour regretter l'absence sur le banc des accusés des représentants de grandes firmes allemandes qui avaient participé au génocide en exploitant pour leurs propres besoins une main d'oeuvre de gens déportés qui seront progressivement brisés. Elle défendra en 1964 à l'Assemblée Nationale la notion d'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité.
En 1987, à la demande des parties civiles, elle témoignera à Lyon au procès de Klaus BARBIE. Commandeur de la Légion d'Honneur, et présidente de la Fondation pour la défense de la mémoire de la déportation, Marie-Claude VAILLANT-COUTURIER est décédée le 11 décembre 1996 à Paris.
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