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Christine et Léa Papin, les soeurs sarthoises
Le jeudi 2 février 1933, rue Bruyère au Mans, Christine PAPIN, vingt-huit ans et Léa PAPIN, sa sœur cadette âgée de vingt et un ans, qui travaillaient comme servantes depuis sept ans pour le compte de la famille LANCELIN, une famille de notables, vont soudain assassiner leur patronne Léonie LANCELIN, femme d'un avoué, et sa fille Geneviève. Cet assassinat doublé d'un véritable massacre puisque les deux femmes iront jusqu'à arracher les yeux de leurs deux victimes, fera longtemps parler à une époque où, pourtant, tous les regards étaient tournés vers l'Allemagne où un certain Adolf HITLER venait de prendre le pouvoir le 30 janvier précédent. Beaucoup se demandent encore aujourd'hui si les deux sœurs PAPIN étaient folles ou si elles ne l'étaient pas ? Car énucléer quelqu'un à main nue suppose un certain degré de dérangement mental. Encore que Christine PAPIN la cuisinière des LANCELIN était habituée à énucléer les lapins quand elle s'apprêtait à en faire des civets. A l'époque, les psychiatres les avaient d'ailleurs considérées comme n'étant pas en état de démence et donc parfaitement responsables de leurs actes. Après les avoir arrêtées les enquêteurs seront néanmoins contraints de passer une camisolde de force à l'aînée, celle-ci ayant menacé de s'arracher également les yeux sans doute pour s'autopunir. On dira par la suite que Christine PAPIN était aux portes de la schizophrénie et lors de leur transfert à la centrale de Rennes, mis en présence de sa sœur elle ne reconnaîtra même plus Léa. Il est vrai que le profil des deux sœurs avait de quoi surprendre car durant leurs sept années de service, jamais elles ne demanderont de congé, refusant même tout contact avec l'extérieur ou avec un possible amoureux, ce qui aurait pu être de leur âge. En dehors cependant d'une participation à la messe le dimanche à l'église proche, elles choisiront donc de rester confinées chez les LANCELIN, gagnant leur chambrette leur tâche accomplie.
Quel mobile a-t-il pu être à l'origine d'une telle rage de ces deux femmes ? Considérées comme de bonnes employées par leur patronne certes assez tatillonne, elles étaient en train de repasser quand les plombs ont sauté plongeant leur demeure dans l'obscurité. Au retour de leur patronne vers les 17 heures, c'est parce que celle-ci l'aurait giflée que Christine PAPIN dira, du moins dans un premier temps, s'être défendue avant qu'on laisse entendre qu'il y avait peut-être eu un mot de trop de prononcé par Christine qui aurait pu justifier un mouvement d'humeur de la dame LANCELIN. Une épouse qui avait fort à faire avec un époux avoué de son état qui était impliqué dans l'affaire des Mutuelles du Mans, une affaire en cours d'instruction qui avait vu 700 plaignants se manifester. Mais le mobile était aussi, pour d'autres, à rapprocher d'un comportement de froideur et de distance que Léonie LANCELIN observait, n'hésitant pas à réprimander ses deux employées de maison, parfois même pour des futilités. A tel point que les deux sœurs parlaient de persécution. Ce qui interpelle c'est qu'au terme de leurs sept années de bons et loyaux services les deux sœurs, logées, blanchies et nourries étaient parvenues à économiser un peu plus de vingt mille francs, une somme qui aurait pu leur permettre de quitter les LANCELIN et de se mettre à leur compte, ce qu'elles ne feront pas donnant le sentiment de faire preuve de masochisme.
Persécutées, elles avaient estimé l'être un peu plus encore quand leur patronne avait interdit à leur mère haïe de continuer à les voir trois ans auparavant, ce qui contribuera à transférer sur elle toute la haine que les deux sœurs éprouvaient pour leur mère. Filles de Clémence, une femme paranoïaque qui menaçait régulièrement d'attenter à ses jours et de Gustave, un père alcoolique, privées d'affection maternelle et paternelle durant leur enfance, les deux sœurs PAPIN seront placées avec leur autre sœur Emilia dans des institutions religieuses dès leur plus jeune âge. Naîtra entre Christine et Léa une relation devenue fusionnelle voire même passionnelle. On dira que Christine représentait pour la plus jeune, Léa, une sorte d'image sécurisante en l'absence de repères, celle que leur mère ne lui avait jamais prodigués. Isabelle, la sœur de Clémence qui n'aimait pas les hommes et qui avait accueilli quelque temps Christine encore petite, a-t-elle joué un rôle dans la construction psychique de l'aînée des deux sœurs PAPIN ? C'est plus que probable. Le fait d'être en présence de deux femmes qui se faisaient souvent des câlins sera également mal interprété, surtout à une époque où l'idée de l'homosexualité était mal perçue par la plupart et sévèrement réprimée. C'est peut-être parce que les yeux des deux victimes avaient vu des attitudes et un paraître critiquables que Léonie et Geneviève LANCELIN ont été énuclées, Léonie LANCELIN ayant retrouvé au soir du 2 février une Christine venue à sa rencontre revêtue d'une robe de chambre. On dira aussi pour essayer de rechercher ce qui avait pu provoquer la fureur des deux sœurs qu'elles étaient en train de faire l'amour quand les deux femmes LANCELIN sont rentrées chez elles en s'efforçant, qui sait, de les surprendre, leur reprochant une fois encore d'être en tenue légère, d'avoir laissé leur repassage en comprenant soudain ce qui unissait les deux sœurs. Sans prendre en compte le fait qu'un court-circuit s'était produit plongeant la demeure dans l'obscurité. C'est l'aînée des deux soeurs, Christine, qui revendiquera la paternité de la tuerie dans le but de dédouaner Léa lui donnant l'ordre après les avoir déjà massacrées d'arracher les yeux à Léonie LANCELIN, alors qu'elle s'était déjà chargée de la même besogne sur la jeune Geneviève.
Le 2 février, le spectacle sera intenable pour les premiers policiers arrivés sur des lieux plongés dans l'obscurité. Alertés à 19 heures par René LANCELIN qui avait prévu d'emmener les siens dîner chez les RINJARD ne parvenait plus à entrer chez lui, la porte ayant été fermée de l'intérieur et son épouse ne répondant pas, il avait fini par s'adresser au commissariat. Quelques mètres avant le palier, n'en revenant pas les policiers découvriront un œil humain dans l'escalier, puis, scène insoutenable deux cadavres aux visages et aux corps atrocement mutilés qui seront étendus sur le sol. Il s'agissait de Léonie LANCELIN et de sa fille Geneviève. Les deux yeux de la maîtresse de maison allongée sur le dos avaient disparu et les orbites oculaires n'étaient plus que des trous béants. Elle n'avait plus de bouche, les dents ayant été ôtées et projetées un peu partout autour d'elles. On avait eu recours à un couteau de cuisine, un pot en étain, et un marteau couvert de sang qui sera retrouvé un peu plus tard près des deux sœurs. Leur forfait accompli, celles-ci monteront se réfugier dans leur chambrette dont elles fermeront la porte à double tour attendant passives qu'on vienne les en déloger. On les retrouvera nues et enlacées dans le même lit où elles s'étaient blotties l'une contre l'autre comme pour se protéger. On dira même qu'elles venaient de faire l'amour. « Oui, c'est nous qui avons tué, diront-elles aux enquêteurs, et nous ne regrettons rien ! » Pour la psychothérapeute Isabelle BEDOUET qui a rédigé plusieurs ouvrages, ce serait un autre drame qui aurait inspiré les deux soeurs PAPIN, celui commis un an plus tôt à Ruaudin toujours dans la Sarthe. Un fait dont on n'avait cependant pas beaucoup parlé à l'époque en dehors peut-être du journal LA SARTHE DU MATIN, un quotidien qu'elle aurait tout à fait pu apercevoir chez les LANCELIN. Ce fait avait vu un couple, les ANJUBAULT, commettre un crime et s'en prendre aux époux BATTEUX, simplement parce que Léon BATTEUX avait refusé de donner un verre de cidre à Louis ANJUBAULT. Apparemment saines d'esprit, les deux sœurs PAPIN finiront par être montrées comme des employées exploitées qui auraient fini par se révolter et leur meurtre sera longtemps considéré comme un meurtre de classe et le crime de la misère. L'organe du Parti Communiste, l'Humanité ira jusqu'à prendre fait et cause pour les deux sœurs estimant qu'elles symbolisaient la lutte des classes et qu'elles étaient les victimes de l'exploitation capitaliste ! Totalement dévouées jusqu'alors à leur patronne, elles craignaient régulièrement des retenues sur leur paie et les réprimandes et avaient peur de casser le moindre objet. Le 3 février, le lendemain de la tuerie de la rue Bruyère, les ANJUBAULT sur le point d'être jugés et les sœurs PAPIN feront ensemble la une du quotidien sarthois ! Au Mans, le maire redoutant que l'image de sa localité soit entachée par des articles parus dans la presse parisienne fera interdire le numéro de Détective qui avait affiché le portrait des deux sœurs en couverture. Cet horrible fait divers ira jusqu'à passionner certains intellectuels comme Simone de BEAUVOIR et Jean-Paul SARTRE voire le psychanaliste Jacques LACAN qui, dans la revue Minotaure, en fera un thème de réflexion sur les aspects paranoïaques. Simone de BEAUVOIR parlera, elle, de geste de révolte et de sauvage déchaînement d'une liberté. Pour d'autres, ce sera un crime de la condition domestique.
Cette affaire passionnera jetant aussi le trouble sur une instruction qui sera menée trop vite et qui durera huit mois. On évoquera en conclusion beaucoup d'incohérences dont la défense des deux sœurs ne profitera pas, témoins les scellés non apposés sur la maison du meurtre, la non-vérification de l'emploi du temps de René LANCELIN à l'origine de rumeurs quant à sa responsabilité dans l'assassinat. Aurait-il eu un geste déplacé à l'égard des deux sœurs dont on dira après coup qu'elles étaient toujours vierges ? A propos du fer à repasser qui avait été à l'origine d'un court-circuit qui avait fait sauter les plombs, on s'apercevra deux jours plus tard qu'il fonctionnait parfaitement. Le 30 septembre 1933, en présence de deux cents policiers chargés de contenir les nombreux badauds, de quarante journalistes et au terme d'un procès très vite conclu, le Docteur LOGRE dira que l'auteur du forfait n'était ni Christine, ni Léa mais le couple que formaient les deux sœurs PAPIN. L'avocat général au terme d'une plaidoirie lyrique demandera à ce que l'on traite l'aînée des deux sœurs en sauvage et en bête fauve, ce qu'elle avait été en commettant ce crime monstrueux et que l'on mette l'autre hors d'état de nuire à tout jamais ! Christine PAPIN sera donc condamnée à mort mais Léa à seulement dix années de bagne. L'aînée des deux sœurs échappera à la guillotine grâce à l'intervention du président de la république, Albert LEBRUN, le 22 janvier 1934 et sa peine sera commuée en vingt ans de travaux forcés. Son état mental s'étant aggravé, elle sera finalement internée à l'hôpital psychiatrique de Rennes où elle mourra en 1937 d'un œdème pulmonaire après qu'elle se soit laissée mourir de faim. Sa sœur Léa, elle, bénéficiera d'une remise de peine de prison et sera libérée en février 1943. Elle mourra le 24 juillet 2001, à l'âge de quatre-vingt-neuf ans dans les environs de Nantes où elle s'était installée après avoir été libérée, emportant avec elle les secrets de son incroyable geste meurtrier. Elle avait retrouvé un emploi de domestique sous un pseudonyme.
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