Le lundi 24 février 2003, Bernard LOISEAU quitte le service du déjeuner de la Côte d'Or, il roule soigneusement son tablier, prend sa voiture, salue un habitant de Saulieu devant l'église d'un grand geste de la main, arrive chez lui et monte dans sa chambre. C'est l'heure de sa sieste. Bastien, son fils âgé de 10 ans, est allongé sur le lit devant un match de foot. Il l'envoie sans ménagement jouer dans le jardin puis il s'enferme à clef, se saisit du fusil de chasse offert deux ans plus tôt par sa femme, Dominique, et se tire une balle dans la tête. Le lendemain, la France se réveillera sous le choc. 

Le 22 janvier 2013, dix ans plus tard, le média L'Express publiera sous la plume d'un certain François-Régis GAUDRY un article brutal évoquant les raisons qui avaient poussé la star des fourneaux Bernard LOISEAU à se suicider. Pourquoi le guide Michelin a-t-il voulu taire des éléments capitaux ? dira t-il. Quelle aurait été la raison qui avait bien pu pousser voilà dix ans tout juste la toque 3 étoiles la plus médiatique de France à se donner la mort et à abandonner sa femme et trois jeunes enfants sans explication ? "Un coup de folie", aurait alors répondu à chaud son épouse Dominique. Il était "bipolaire", et la bipolarité il y a trente ans, on ne la connaissait pas. C'était quelqu'un capable de grandes phases d'euphorie et de périodes d'anxiété très sombres, aurait elle ajouté interrogée par Laurent DELAHOUSSE dans une édition dominicale du journal de A2 de 13h15. L'un de ses amis Philippe LABRO dira qu'il l'avait trouvé préoccupé quelques jours auparavant, s'inquiétant des rumeurs propagées par Le Figaro. Mais de là à imaginer qu'il attenterait à ses jours... 

Avec ses trois étoiles au guide Michelin, la disparition de l'un des papes de la gastronomie française qui avait fait de la Côte d'or à Saulieu un restaurant de tout premier plan avait certes fait grand bruit ! D'autant que Bernard LOISEAU affichait une certaine réussite malgré une dernière appréciation négative du guide Gault et Millau et un article publié dans Le Figaro par François SIMON, un critique gastronomique. En affirmant par ailleurs que le rôle joué par Michelin aurait pesé lourd dans ce suicide spectaculaire" et en annonçant avec en couverture des "Révélations sur le suicide de Bernard Loiseau", l'Express en avait rajouté dix ans plus tard, ce qui sera jugé inadmissible par son épouse Dominique qui reste attachée à ce qu'on ne salisse pas la mémoire de son défunt époux. Qu'un magazine national décide de doper ses ventes avec un titre aussi racoleur ne pouvait donc qu'entraîner une réaction de sa part, ce qu'elle fera valoir dans un droit de réponse qui sera ignoré ! Alors qu'on publiera la réponse de GAUDRY l'auteur de l'article à des réactions légitimes de gens qui, eux non plus, n'avaient pas compris que l'on s'en prenne à la mémoire de Bernard LOISEAU.

Dominique LOISEAU s'était alors demandée pourquoi GAUDRY, qui n'avait jamais rencontré Bernard, avait voulu faire croire qu'il en savait plus sur les raisons de son suicide que ses proches. D'autant qu'il avait joint avant cet article sa fille Bérangère en lui affirmant qu'il allait faire un portrait hommage sur son père, pour les dix ans de sa disparition. Il était même venu nous voir, précisera-t-elle, le 13 décembre 2012 pour effectuer son reportage, nous étions allé le chercher le matin au TGV à Montbard et nous l'avions reconduit le soir même. Il avait passé toute la journée avec nous. Avec ma fille, nous lui avions ouvert nos portes et nos coeurs, organisant des interviews avec les principaux membres de l'équipe et en faisant déplacer un ancien fournisseur de légumes ami de Bernard. Il nous avait demandé de nombreuses photos, bien ciblées et nous avons été abusées. GAUDRY avait rétorqué qu'il avait tenu à nous prévenir avant la sortie de son article nous annonçant que celui-ci allait prendre une tout autre tournure, car il avait des documents inédits sur le Guide Michelin concernant les raisons du suicide de Bernard. Bernard avait effectivement été selon elle ébranlé début février 2003 par un article de François SIMON, journaliste au Figaro, qui se targuait avant la sortie du Michelin de souligner que Bernard risquait de perdre sa troisième étoile. Sauf que lorsque le Guide rouge avait publié son communiqué de presse, une semaine après l'article du Figaro et deux semaines avant le suicide de Bernard, les trois macarons étaient bien maintenus. Il ne s'était donc agi que d'un simple avertissement. Seulement le mal était fait et le doute avait pénétré son mari. Et ce qu'il faut surtout savoir, ajoute t-elle encore, c'est que Bernard avait été bouleversé par une phrase bien particulière, Le Figaro annonçant qu'il était "légitimement menacé" par le guide Michelin. Selon Dominique LOISEAU, ce mot "légitimement", Bernard ne l'avait jamais compris, ni surtout jamais accepté, se demandant comment un journaliste du Figaro pouvait bien affirmer ça. Si François SIMON avait eu un minimum de courage et de droiture pour s'en expliquer simplement avec son mari, le pire aurait sans doute pu être évité ! 

En 1998, cinq ans avant le drame, Bernard LOISEAU était devenu le premier chef étoilé côté en bourse au Second Marché. Son épouse Dominique et son chef de cuisine Patrick BERTRON lui ont depuis succédé proposant dans les restaurants qu'il avait ouvert de continuer à faire vivre, outre son nom et son esprit, l'œuvre de l'un des plus grands noms de la cuisine française et en élargissant même leurs prestations. « Je ne voulais pas que mon mari meure deux fois » déclarait Dominique LOISEAU en 2018. Mais qui aurait pu imaginer que ce groupe fragilisé par un deuil cruel retrouverait en seulement quelques années une place enviée dans la galaxie des grandes étapes de la France gourmande après avoir subi au lendemain du drame une petite désaffection ?