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Avril 1960... Le petit Eric Peugeot, 4 ans, enlevé !
Le 12 avril 1960 reste une date, celle d'un premier enlèvement d'enfant contre rançon commis en France avec celui du petit Eric PEUGEOT (en photo ci-contre) ! Le petit-fils du président de la firme automobile, sera enlevé par deux hommes qui réclameront une rançon. Ce jour-là, la France découvrira avec horreur que l’on pouvait enlever un enfant et le menacer de mort avec pour seul but celui de se faire remettre de l’argent pour le libérer. Au début du premier septennat de Charles de GAULLE et de la nouvelle 5ème République, l'affaire fera grand bruit d'autant que la firme PEUGEOT n'est pas n'importe quelle affaire et qu'elle vend chaque année deux-cents mille voitures. Elle n'a donc pas été choisie au hasard par les ravisseurs.
Jean-Pierre PEUGEOT, le grand patron du groupe automobile, s'était rendu vers les quinze heures comme il le faisait régulièrement après leur sieste au golf de Saint-Cloud avec son épouse ses deux petits-fils, Jean-Philippe, sept ans, et Eric, quatre ans. Surveillés par leur nurse Janine, les deux gamins jouaient dans un jardin d'enfants, mais, après un moment d'inattention de celle-ci, on s'apercevra qu'Eric a disparu. A côté du toboggan où il jouait, on retrouvera une lettre dactylographiée à l'encre rouge destinée à son père, Roland PEUGEOT, et réclamant pour la libération de l'enfant 50 millions de francs anciens (l'équivalent de 500 000 francs lourds, ceux-ci n'étant entrés en circulation que le 1er janvier) et cela en coupures usagées. « Un Monsieur a pris Eric » dira une fillette qui jouait avec les gamins et le jardinier de l'endroit trouvera bizarre une voiture mal garée stationnant à proximité. Aussitôt le père de l'enfant alertera la police, tout en demandant à celle-ci de le laisser négocier seul avec les ravisseurs. Pas habituée à ce genre de crime inédit en France et désireuse de ne pas mettre en danger la vie de l'enfant membre d'une dynastie familiale importante de l'industrie française, la police acceptera. Rien ne sera laissé au hasard, les parents de l'enfant s'efforçant de rassurer les auteurs du rapt. La rançon remise aux ravisseurs passage Noisy dans le 17ème, là même où avait été tourné un film de Claude SAUTET : Classes tous risques, le petit Eric sera retrouvé à une heure du matin trois jours après son enlèvement devant Le Brazza, une brasserie de l'avenue Raymond Poincaré dans le 16ème arrondissement parisien. C'est semble-t-il une femme qui laissera le garçonnet sur le trottoir. Au lendemain de la libération de l'enfant, on ignore encore que l'enquête sera longue. Le grand quotidien parisien du soir France-Soir évoquera simplement dans un article quelques indices : "un sac de bonbons, un paquet de journaux lancés d’une voiture trouvés sur la route de St-Cloud et le jour de l’enlèvement, une 403 noire volée à un habitant de Puteaux retrouvée abandonnée à 200 mètres de l’entrée du golf".
30 000 policiers seront alors lancés aux trousses des ravisseurs mais sans grande réussite. Après un changement de responsable d'enquête et le dessaisissement du commissaire PIERANGELI de la Sûreté par le commissaire DENIS et le Juge RENARD, il faudra onze mois à la police pour que les preneurs d'otage, un ancien proxénète Pierre-Marie LARCHER et un mythomane flambeur du nom de Raymond ROLLAND dit Roland de BEAUFORT (en photo avec Lise l'une de ses complices), deux petits truands, et trois de leurs complices Jean ROTHMAN, une miss Danemark Lise BODIN et Rolande NEMICZIK, la promise de LARCHER, soient arrêtés le 5 mars 1961 dans une station de sport d'hiver et à Bourg-en-Bresse après une traque méthodique qui aurait pu échouer un journaliste en quête de sensation ayant sorti un article trop tôt. Grâce aussi à l'alerte d'un indic qui trouvait le train de vie de LARCHER et ROLLAND un tantinet dispendieux. Et grâce aussi aux caractères d'une machine à écrire qui avait disparu du domicile de l'ex-épouse de Raymond ROLLAND, une certaine Ginette qui exploitait une parfumerie que les enquêteurs identifieront comme la même que celle qui avait servi à taper la lettre de demande de rançon. Une infime partie de celle-ci, seulement 57 450 NF sera retrouvée, le reste ayant été dilapidé par deux truands qui feront bombance durant plusieurs mois, menant grand train de vie. Cette escroquerie à la petite semaine va devenir, aussi, un crime sur les pouvoirs de la fiction car c’est un roman de la collection « Série noire » : Rapt de l'auteur américain Lionel WHITE de Gallimard qui donnera l'idée aux ravisseurs de monter cet incroyable et inédit enlèvement. La lettre de rançon copiée sera même celle qui se trouvait en 4ème de couverture du bouquin. Pour une fois, c’est la littérature qui vient au secours du réel.
Bien que défendus par des ténors du barreau en octobre 1961 : René FLORIOT et J-L TIXIER-VIGNANCOURT, les deux gredins seront condamnés à vingt ans de réclusion après trois jours de procès, le maximum prévu par le code pénal. Parce que même sans s'être rendus coupables de violences sur le petit garçon, ils l'avaient été en inquiétant les parents d'Eric et surtout sa mère. Leurs avocats essaieront de les opposer, probablement pour que chacun de leurs clients s'en tire à meilleur compte mais ce sera peine perdue. On notera que la détention profitera aux deux gredins puisque Pierre LARCHER deviendra enseignant dans le Droit après avoir suivi des cours et que Raymond ROLLAND travaillera dans l'édition.
« Je n'ai été victime d'aucun mauvais traitement, se souvient Eric PEUGEOT lorsqu'il acceptera vingt-sept ans plus tard de témoigner pour un média, Le Télégramme. Disons que les gens qui m'avaient enlevé avaient un certain sens des valeurs. Ils ont joué le jeu à leur manière, mais correctement. Ils n'avaient pas le côté tordu de ceux qui s'en prennent maintenant aux enfants et causent les drames terrifiants que l'on connait. Personnellement, je n'ai pas été traumatisé. La notion de traumatisme, je la vis au travers des autres, et par le fait que je suis moi-même père de quatre enfants. Dans ce genre d'affaire, je pense énormément aux parents et à tout ce qu'ils peuvent ressentir. Ma mère ne s'en est jamais remise. Aujourd'hui encore, elle ne peut pas supporter la vision d'un film à la télévision où il est question d'enlèvement. Je n'oublie pas non plus qu'à l'époque, aussi étrange que cela puisse sembler, les miens avaient reçu davantage de lettres d'injures que de réconfort »
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