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Notre ouvrage à propos de l'un des derniers condamnés à mort, Ranucci...
Il sera l'un des derniers condamnés à mort à avoir eu la tête tranchée au grand désappointement de son avocat marseillais Paul LOMBARD et surtout de son confrère Jean-François LE FORSONNEY, car un doute subsistait en mars 1976 qui aurait dû profiter à l'accusé et il subsistera encore longtemps, les enquêteurs ayant voulu aller trop vite comme pour l'affaire ayant vu le jeune Patrick DILS être condamné après le meurtre de deux enfants en Lorraine, avant d'être néanmoins acquitté. Et hélas, le 28 juillet 1976, à 4h13 du matin, Christian RANUCCI le paiera de sa vie, la peine de mort n'ayant pas encore été abolie en France cette année-là. Privé d'un procès équitable organisé au beau milieu d'une opinion hostile, l'affaire sera énormément médiatisée et l'écrivain et journaliste Gilles PERRAULT y reviendra largement deux ans plus tard en publiant un premier ouvrage : Le pull-over rouge. Un ouvrage qui sera davantage considéré comme un plaidoyer contre la peine de mort qu'une démonstration de l'innocence de celui qui avait été condamné. Avant d'être suivi dans sa démarche par le cinéaste Michel DRACH qui réalisera un film du même nom. Tout cela donnera lieu à une vive polémique autour de la culpabilité d'un condamné qui n'avait commis qu'une faute : celle d'avoir avoué trop vite un crime qu'il n'avait, semble-t-il, pas commis. Du moins dans son entier. Ce qui apparaît aujourd'hui encore comme l'illustration d'une affaire trop vite résolue restera éternellement l'affaire du pull-over rouge, du nom du livre de Gilles PERRAULT et de ce pull-over qui avait été retrouvé dans une champignonnière où le jeune homme dira s'être embourbé avec son coupé Peugeot 304 et où il se réveillera après s'être endormi. Un endroit situé à proximité de celui où l'on avait retrouvé le corps de la petite victime, Maria-Dolorès RAMBLA. Un pull pourtant trop grand pour être celui qu'aurait pu porter le jeune RANUCCI y avait effectivement été retrouvé. Vingt-cinq ans après l'affaire, l'écrivain dira lors d'une émission qu'il était à présent convaincu qu'on avait exécuté un innocent. Mais revenons si vous le voulez bien à cette affaire et à un dossier qui aura tant fait parler.
Le 3 juin 1974 à 10 heures 50 du matin la petite Maria-Dolorès RAMBLA, huit ans (ci-contre), est enlevée devant son HLM à Marseille Cité Sainte-Agnès dans le quartier des Chartreux alors qu'elle jouait avec son frère Jean-Baptiste âgé d'à peine sept ans. Une voiture grise se gare devant l'un des garages proches du lieu où les deux enfants s'amusent, un véhicule qui sera souvent par la suite au centre des débats. Son propriétaire serait à la recherche de son petit chien noir qui aurait disparu et il demande au petit Jean-Baptiste de l'aider à le retrouver. Laissant sa soeur en compagnie de l'homme, le garçonnet fait le tour de l'immeuble à la recherche du chien perdu mais, à son retour, il ne verra plus, ni l'homme qui d'après lui ne portait pas de lunettes, ni sa voiture qu'il identifiera quelque temps plus tard comme étant une voiture de couleur grise, et, plus grave encore sa soeur Maria-Dolorès. Pour tester le petit garçon et la crédibilité de son témoignage, les policiers n'hésiteront pas à lui présenter plusieurs modèles de voitures avant d'être convaincus que pour le petit Jean-Baptiste, il s'agissait effectivement d'une Simca, voire même d'une Simca Chrysler 180. « L'homme, dira t-il, parlait comme les gens d'ici ! » Vers 13h15, après avoir cherché deux longues heures sa petite à son retour du travail et avoir questionné son voisinage, le père, Pierre RAMBLA un ouvrier boulanger émigré espagnol ne roulant pas sur l'or, se décidera à signaler la disparition à la police. Un appel à témoins sera lancé. Un mécanicien carrossier voisin, Eugène SPINELLI qui avait assisté de loin à l'enlèvement retiendra surtout que la fillette était montée dans une Simca de couleur grise, mais d'où il se trouvait... On retrouvera le 5 juin au début de l'après-midi le corps meurtri de la gamine tuée à l'aide d'une pierre et lardé d'une quinzaine de coups de couteau ; il avait été caché dans des fourrés sur la colline de Saint-Louis de Peypin, à une vingtaine de kilomètres de Marseille.
Après un accident dû au non respect d'un stop et un délit de fuite commis malheureusement pour lui à 12h30 à proximité de l'endroit où l'on allait ensuite retrouver le corps, son auteur, un jeune représentant de commerce de 20 ans Christian RANUCCI, qui demeurait habituellement à Nice, sera placé en garde à vue le 5 juin au soir. Lors de cette garde à vue, il reconnaîtra avoir effectivement brûlé un stop, heurté avec son coupé Peugeot 304 la voiture d'un certain Vincent MARTINEZ et avoir pris la fuite mais sans, dans un premier temps, s'accuser d'autre chose, niant toute participation à cet enlèvement. Sans doute mal réveillé et ayant bu, avait-il craint avec cette fuite qu'on lui retire un permis essentiel pour l'exercice de son métier de représentant ? C'est possible, même si on peut déplorer que l'on ait curieusement rapproché cet accident avec l'enlèvement de la fillette commis en fin de matinée, sans néanmoins comparer cette Simca 1100 grise recherchée dès le 3 juin et le véhicule incriminé appartenant au jeune homme, un coupé Peugeot 304 bleu clair (photo ci-contre). Pour le commissaire CUBAYNES, chef de la Sûreté Urbaine à Marseille, « en ayant commis ce délit de fuite, le reste coulait de source ». Le jeune homme ne pouvait donc qu'être le coupable de l'enlèvement ! Pourtant le 5 juin, CUBAYNES déclarera à un média : « Il y a un mois deux fillettes étaient l'objet d'une tentative d'enlèvement à Marseille... le motif choisi pour attirer ces deux enfants étant le même que pour la petite Maria-Dolorès Rambla... un chien noir ». Comprenne qui pourra ! Vincent MARTINEZ nanti du numéro d'immatriculation qu'avait pu lui procurer les époux AUBERT lancés à la poursuite de Christian RANUCCI déposera une plainte à la gendarmerie et déclarera que le jeune homme paraissait être seul à bord. Mais la jeune femme qui accompagnait Vincent MARTINEZ ne sera pas entendue à propos de la présence ou pas à bord du coupé 304 de la gamine ni le chauffeur d'un camion qui ne se manifestera jamais. Accusé ouvertement par l'un des deux témoins de l'accident, Aline AUBERT, laquelle pourtant ne l'avait pas reconnu tout d'abord lorsqu'il lui avait été présenté en groupe à l'Hôtel de Police par le commissaire ALESSANDRA (photo ci-dessous) et qu'il lui présentera à nouveau une heure plus tard cette fois-ci sans le formalisme habituel, et après avoir résisté durant un peu plus de 19 heures à une pression des enquêteurs, Christian RANUCCI finira par avouer le crime. Il admettra même en être "obligatoirement" l'auteur et avoir agi dans l'affolement avant toutefois de se rétracter quelques jours après et lors de la reconstitution des faits le 24 juin. L'emploi du terme "obligatoirement" alertera son avocat Jean-François LE FORSONNEY lors de leur première entrevue aux Baumettes le 7 juin. S'il était l'auteur de ce meurtre, pourquoi l'aurait-il été obligatoirement ? Parce qu'on le lui avait suggéré dira t-il à son avocat, alors qu'il n'était pas en mesure de se souvenir de tout ce qui s'était passé.
Se souvenir ou ne pas se souvenir... On notera au passage que lors de leur audition, il en sera de même des époux AUBERT (ci-contre), témoins à charge de l'accident, puisqu'ils changeront de version trois fois de suite sans qu'on leur en fasse un quelconque reproche. Comme s'ils étaient devenus les témoins providentiels d'une accusation fébrile de trouver enfin un coupable ! Après qu'il eut parlé de paquet, Alain AUBERT déclarera en effet avoir vu RANUCCI sortir un enfant de la voiture et le traîner par le bras dans les fourrés. Et le fameux paquet que le jeune homme aurait tenu sous le bras finira par devenir pour Madame une fillette finalement revêtue de tous les attributs repris par la presse dans ses multiples éditions depuis le 3 juin. Aline AUBERT sera pourtant incapable de dire par quelle porte de son véhicule RANUCCI était descendu en extrayant la fillette de la voiture. Or, le jeune homme n'avait pu extraire ni tirer la fillette vers lui puisque son coupé Peugeot n'avait que deux portes et qu'il aurait été de surcroît difficile pour lui d'en sortir, sinon en enjambant la gamine, la porte avant gauche ne pouvant plus être ouverte depuis la collision du carrefour de La Pomme. Aline AUBERT confiera un peu plus tard à des journalistes parlant de la fillette que le jeune homme avait entraîné avec lui dans le talus, qu'elle n'avait pas peur. Alors que lors de ses aveux RANUCCI avait reconnu que c'est parce que la fillette avait eu peur qu'il l'avait tuée. Ce qui tend bien à démontrer que le témoignage des époux AUBERT dans son entier ne tient pas. Mais, la juge Ilda di MARINO le prendra tel quel lâchant lors de la reconstitution qu'il n'était pas question de rester deux heures à savoir si la portière avant gauche du coupé 304 s'était ouverte ou pas. Hélas, pour lui, Christian RANUCCI commettra un croquis qui, avec ses aveux, le perdra parce qu'il y avait décrit même sommairement l'endroit où jouaient les deux enfants dans leur cité HLM à Marseille, bien que le platane observé sur les lieux n'y ait pas figuré. Ce dont on ne tiendra pas compte sur le P-V de cette pseudo-reconstitution puisque sur celui-ci il y figurera ! Curieux ! Finalement, le manque de chance pour le jeune homme aura été de croiser le tueur au pull-over rouge le 3 juin, que le corps de Maria-Dolorès ait été retrouvé à proximité de la champignonnière où il avait cru devoir s'arrêter pour réparer son pneu crevé et y avoir été vu par le propriétaire de l'endroit, un certain Henri GUAZZONE et son employé Mohamed RAHOU, et de cette route où son véhicule coupé Peugeot avait été aperçu par les AUBERT le même 3 juin. C'est le contremaître qui racontera aux gendarmes le 4 juin au matin ce qui s'était produit dans cette champignonnière.
Parmi les autres lacunes relevées notamment par l'écrivain Gilles PERRAULT, le rapport d'autopsie fourni par la médecine légale et l'absence de précision quant au jour et heure du décès de la fillette. Rien ne prouve donc que le meurtre aurait été commis le 3 juin vers 13 heures comme on l'a affirmé un peu trop rapidement. Lorsqu'on retrouvera le corps de Maria-Dolorès le 5, on constatera également qu'elle avait été frappée violemment à l'aide d'une pierre, une précision que ne donnera pas Christian RANUCCI lors de ses aveux puisqu'il n'évoquera que les coups de couteau ! De plus, le pantalon de couleur bleue retrouvé dans son véhicule comportait deux taches de sang. La carotide de la fillette ayant été tranchée, du sang en quantité avait donc dû gicler. On doutera donc que les deux petites taches figurant sur ce pantalon aient un quelconque rapport avec celui qui aurait imprimé le vêtement du tueur. Hélas, là encore pour le jeune homme, son sang de groupe sanguin A était de même nature que celui de la fillette. Ce pantalon bleu qui du reste n'avait jamais été dissimulé, le jeune homme le conservait pour des travaux d'entretien. S'il avait servi ce 3 juin, pour quelle raison ne l'a t-il pas caché ? Quant à ce couteau ayant servi à tuer et enseveli dans un tas de fumier ou de tourbe, c'est encore plus surréaliste, puisque certains enquêteurs diront l'avoir trouvé en cinq minutes alors que d'autres diront être passés par un détecteur et une recherche d'au moins deux heures ! C'est d'autant plus surréaliste qu'un PV (n° 610) dit à propos de ce couteau qu'il aurait été saisi le 6 juin à 19h25 par les gendarmes ! Il aurait ensuite été transmis le même 6 juin à 17h30 à l'Inspecteur PORTE de la Sûreté Marseillaise afin qu'il le transmette au Greffe du Tribunal de Marseille. On ne comprend donc pas qu'il ait pu être retrouvé à 19H25 le même jour dans la champignonnière. Il est regrettable qu'on ne soit pas revenu sur les incohérences de ce PV n° 610. Pour confondre l'accusé providentiel qu'est le jeune RANUCCI, on évoquera aussi les traces de griffure relevées sur ses avant-bras persuadé qu'il se les avait faites en enfouissant le corps de la gamine. Alors que pour le jeune homme elles provenaient des branchages qui lui avaient servi pour tenter de sortir son véhicule embourbé de la galerie de la champignonnière. Il fallait vraiment avoir envie de condamner le pauvre Christian RANUCCI pour ne pas prendre en compte de telles invraisemblances ! Ajoutons ces deux cheveux retrouvés dans le coupé 304 que l'on prétendra être ceux de la fillette ce qu'à l'époque on était pas en mesure de vérifier faute de pouvoir travailler sur les ADN.
Ce pull-over rouge que l'on avait attribué un peu vite à Christian RANUCCI, sans que jamais par la suite on ne revienne sur cette pièce essentielle de la défense, on l'oubliera très vite. Puisqu'il avait été démontré que le jeune homme n'en avait jamais possédé de semblable et qu'il détestait le rouge. Pour tous ceux qui pensaient avoir trouvé en la personne du jeune homme celui qui avait tué la fillette, ce sera une déconvenue et l'obligation de rechercher autre chose pour le mouiller, d'où l'importance des témoignages même décousus du couple AUBERT. On reconnaît néanmoins que c'est en flairant ce pull qu'un chien mènera le 5 juin après-midi vers 15h45 les enquêteurs vers le corps de la gamine, ce qui atteste que ce pourrait être le détenteur de ce pull-over rouge qui aurait tué. Pourtant on reconnaîtra par la suite qu'il était difficile à un chien pisteur de travailler plus de 48 heures après, ce qui a tendu un temps à démontrer que le meurtre de la fillette n'aurait pas été commis le 3 juin mais le 4 juin. Un élément qui contrarierait les AUBERT et leur témoignage providentiel pour les enquêteurs. Pour tenter de trouver une échappatoire à cette opération de découverte, le capitaine de gendarmerie Maurice GRAS dira après coup que le chien n'était pas parti du pull-over mais de la voiture de RANUCCI. Alors que celle-ci n'était plus sur les lieux le 5 juin !!! Certes, RANUCCI donnera avec précision l'endroit où il se serait débarrassé du couteau ayant servi à tuer mais la démonstration qu'en fait Gilles PERRAULT dans Faites entrer l'accusé face à Christophe HONDELATTE établit là encore que l'on a fait dire à ce pauvre jeune homme à peu près tout et n'importe quoi en lui suggérant probablement ce qu'il fallait dire ! Certes, dans l'affolement, le jeune homme oubliera de préciser que ce couteau n'était pas à lui. Pourtant, et cela donne à réfléchir, le petit Jean-Baptiste RAMBLA, ne reconnaîtra pas la fameuse voiture grise en voyant le coupé Peugeot 304 de RANUCCI dans la cour de l'Hôtel de Police de l'Evêché, ni même en lui ce fameux monsieur au chien noir ne portant pas de lunettes auquel il avait parlé le jour de l'enlèvement de sa soeur, et pour cause ! Mieux, le garagiste voisin Eugène SPINELLI, habitué lui à distinguer tous les véhicules, confirmera qu'il s'agissait bien d'une Simca grise et qu'il avait vu la petite Maria-Dolores monter dedans ! Il fera même préciser sur le PV lors de son audition chez les policiers qu'étant mécanicien automobile, il était tout à fait en mesure de reconnaître un véhicule. Seulement comme la juge Ilda di MARINO ne fera pas l'effort d'entendre ces deux témoins et qu'elle n'entendra du reste RANUCCI qu'à cinq reprises dont deux fois en présence de ses avocats, on bouclera très vite un dossier sur lequel il n'était absolument pas question de perdre son temps ! Et cela dès le 27 décembre 1974, date à laquelle le jeune inculpé sera entendu une dernière fois ! Cinq fois, cela pourrait paraître surprenant pour un dossier d'une telle gravité où le présumé coupable risquait sa tête ! Cela ne pouvait laisser suffisamment de temps aux avocats pour répliquer à une instruction menée à charge ! « J'ai tiré le gros lot du malheur sans même avoir acheté de billet », dira-t-il à sa mère dans l'une des nombreuses lettres qu'écrira le jeune homme. Reste l'incidence que pourra avoir sur tout cela l'expertise menée par les psychiatres et la psychologue sur le profil de l'intéressé et le fait que, là aussi, Christian RANUCCI éprouvera le besoin d'avouer ce meurtre dont il était "obligatoirement" l'auteur.
Le 24 juin à 10h45 du matin, une heure quasiment semblable à celle de l'enlèvement, une reconstitution aura lieu, ordonnée par une juge d'instruction d'une quarantaine d'années, un peu sèche et inexpérimentée, l'inflexible Ilda di MARINO (ci-contre), quelqu'un qui n'était pas décidé à exploiter toutes les pistes du dossier. Elle ne considérera pas important que le frère de la fillette le petit Jean-Baptiste et que le garagiste SPINELLI assistent à ce qui devait être une parfaite reconstitution des faits. Pour la juge, ce qui importait ce 24 juin, c'était surtout qu'on ne s'attarde pas à certains endroits et qu'on risque d'essuyer la balle d'un tireur isolé décidé à tuer le présumé auteur des faits dont on avait largement parlé dans une presse déchaînée. La moitié des faits ne donnera d'ailleurs pas lieu à un quelconque examen. On notera au passage pour le côté anecdotique de cette sombre affaire, que Ilda di MARINO confrontée à un autre dossier difficile, celui des deux femmes violées dans les Calanques qui seront défendues par Gisèle HALIMI, dont on parlera également beaucoup tant sa prestation avait là aussi été jugée discutable, était déjà aux portes d'une dépression dont elle souffrira quelque temps. Ce qui vaudra à un nouveau juge, le juge MICHEL, de la remplacer dès le début d'année 1975. Prié par la jeune juge di MARINO de raconter lors de la reconstitution des faits comment il avait tué le fillette, Christian RANUCCI sera dans l'impossibilité de répondre à son attente, ne se souvenant plus de ce qui s'était passé et sans doute aussi de ce que les premiers enquêteurs lui avaient soufflé lors de sa garde à vue ! Au risque de passer pour un simulateur que les trous de mémoire arrangeaient bien, une théorie que reprendront les experts psychiatres que l'on chargera d'examiner l'intéressé. Alors qu'avait été évoqué un lendemain un peu pesant de "cuite" mal digérée. On avancera après coup que le jeune RANUCCI avait bu pour se donner du courage avant d'aller affronter son père dans les environs d'ALLAUCH.
La mère du jeune homme, Héloïse MATHON (ci-dessus) se battra jusqu'à l'extrême limite de ses forces pour tenter de faire entendre un discours de la raison. Ce que traduit assez bien le film assez bouleversant qui a été tourné en 2006 avec sa coopération juste avant qu'elle meure, malgré cependant quelques imprécisions au niveau des horaires des faits et quelques approximations relevées le jour du procès. On essaiera, en la faisant beaucoup parler dès le départ, de lui faire raconter ce qu'était la vie de ce fils devenu subitement un meurtrier d'enfant lui conseillant même rapidement de trouver un avocat. Alors que pour la pauvre femme, son fils n'avait pas besoin d'avocat puisqu'il était innocent ! Elle confiera à un journaliste que le 3 juin, le jour de l'enlèvement et de ce fichu accident, son fils était rentré en fin d'après-midi apparemment tranquille. Il avait faim et elle lui avait fait un steak et des tomates farcies. Rien donc qui aurait pu laisser supposer qu'il avait pu commettre cet acte dont on l'accusera. Être conscient de la dangerosité que cette affaire présentait... Christian RANUCCI s'en montrera t-il capable ? Pour l'adjoint de Paul LOMBARD, le jeune avocat stagiaire Jean-François LE FORSONNEY, le jeune homme aux réactions souvent immatures donnait effectivement le sentiment de ne pas avoir conscience de la gravité de ce qui lui était reproché. Comme sa mère, il semblait vivre dans un monde imaginaire, persuadé qu'un jour ou l'autre, la Justice reconnaîtrait s'être trompée en ayant fait de lui l'assassin qu'il était devenu dès son arrestation. Le gros problème que rencontreront d'ailleurs ses défenseurs sera l'attitude observée par leur client, un homme qu'il convenait certes de considérer encore à la mi juin 1974 comme bénéficiant d'une présomption d'innocence alors que tout le monde en faisait un indiscutable coupable. Après un peu plus d'un an d'enquête, le 6 novembre 1975, le jeune homme sera hélas renvoyé par le juge MICHEL nouvellement chargé de l'affaire devant la Cour d'Assises des Bouches-du-Rhône, toujours sous la pression continue d'une population réclamant sa tête.
Les avocats de RANUCCI malgré les réserves de l'un d'entre eux, FRATICELLI, décideront à la veille du procès de plaider l'innocence de leur client avec une stratégie de défense passant par un dîner de travail à leur cabinet auquel ils avaient convié les journalistes. Parce qu'il fallait les convaincre que l'opinion faisait fausse route en condamnant ce jeune homme. Organisée seulement quelques jours avant le début du procès, cette réunion aurait sans doute gagné à l'être dès la fin 1975 de façon à pouvoir organiser avec les témoins et ceux qui n'avaient pas été entendus par la juge di MARINO puis par le juge MICHEL, un axe permettant de mieux défendre leur client. D'autant qu'ils avaient réussi à trouver dès juillet 1975 un troisième témoin en la personne d'une femme, Jeannine MATTEI qui racontera avoir vu sa fille et une de ses copines approchées par un homme arborant un pull-over rouge qui se déplaçait en... Simca 1100 grise et qui, lui aussi, était à la recherche d'un... chien noir ! Un véhicule qui aurait été immatriculé dans le 54 et non dans le 06 des Alpes-Maritimes. Et c'était quelques jours avant l'enlèvement de la petite Maria-Dolorès ! On dira qu'ils n'avaient pas tout d'abord pris au sérieux ce témoignage, mais alors pourquoi s'en sont-ils servi le jour du procès ? Et pour quelle raison n'ont-ils pas fait témoigner à sa place les deux gamines de 12 et 13 ans dont elle avait parlé et que l'homme au pull-over rouge avait abordées ? Cette réaction serait elle à rapprocher du fait que l'on n'a jamais retrouvé trace de la plainte qu'aurait déposé chez les gendarmes Jeannine MATTEI avant l'enlèvement de la petite RAMBLA ? Par ailleurs, si le témoignage de cette femme avait été jugé peu crédible par les policiers au moment de son dépôt de plainte, pourquoi ceux-ci lui ont-ils demandé d'assister à l'enterrement de Maria-Dolorès afin de pouvoir éventuellement y localiser l'individu au pull-over rouge ? Nathalie C., de la cité des Cerisiers, celle que Gilles PERRAULT appelle dans son livre « La petite Albertini » et qui a été approchée par l’homme au pull-over rouge a été absolument formelle quant à son agresseur : son type ne pouvait en aucun cas être Christian RANUCCI. L’homme qui l’a agressée était un homme qui avait la trentaine, qui était très corpulent, avec des cheveux bruns clairsemés et coupés ras. Bien que tiède au départ, Paul LOMBARD se décidera néanmoins à déposer dès septembre 1975 une demande de remise en liberté pour son client s'appuyant sur cette plainte MATTEI déposée avant le 3 juin 1974 qui n'avait pas été là non plus prise au sérieux au départ. Un témoignage qui aurait pu être complété par la déposition d'un gardien d'immeuble, Paul MARTEL (ci-dessus), qui, lui aussi, comme la petite ALBERTINI aura croisé l'homme au pull-over rouge et qui ne sera pourtant jamais entendu comme témoin supplémentaire. Pas plus chez les policiers que chez la juge di MARINO ou que lors du procès. Ce qui pourrait également surprendre, c'est que l'on ne se soit pas efforcé de refaire, avec l'aide peut-être d'un enquêteur indépendant, le parcours ayant mené Christian RANUCCI de la cité Sainte-Agnès à la colline Saint-Louis. En admettant que le jeune homme ait pu enlever et tuer la fillette. On aurait probablement enrichi le dossier et qui sait trouvé d'autres arguments de défense exploitables.
Le 9 mars 1976, s'ouvrira le procès de Christian RANUCCI devant la Cour d'Assises des Bouches-du-Rhône à Aix-en-Provence. Au terme de débats pour le moins expéditifs, dans un climat de haine et un pays divisé, et au moment même où venait d'être découvert un autre meurtre commis par un certain Patrick HENRY, le jeune homme sera condamné à mort. Sans que la préméditation soit clairement démontrée et sans jamais que l'on ait eu le sentiment que la Justice avait fait correctement son travail, l'enquête ayant été bâclée et de nombreuses pistes n'ayant pas été explorées. Froid comme un iceberg, se présentant mal, vêtu comme un dandy avec un complet et cette croix en bois semblable à celle portée par la gente monastique, se comportant même comme une "tête à claques", voire arrogant et parfois insultant, comme il le sera avec le matois commissaire Gérard ALESSANDRA auquel il reprochera de l'avoir passé à tabac, RANUCCI fera tout à l'envers. En contestant même des détails dont l'importance était nulle. Pire, il ne protestera jamais de ce dont on l'accusait, se défendant d’être ce jeune homme immature entretenant des rapports troubles avec une mère castratrice dont le Président ANTONA tentera de résumer l’existence. Une image contre laquelle il combattra bec et ongles car il n'était pas ce pauvre garçon dévoré par les problèmes familiaux, problèmes qui auraient rejailli sur une sexualité mal orientée. Un profil qui fera dire à la barre aux experts psychiatre et psychologue des choses qui pèseront elles aussi lourd dans la balance, puisqu'ils conviendront que le jeune homme était un simulateur qui avait feint de ne plus se souvenir de ce qu'il avait fait. Pour eux, et ils en avaient été persuadés dès le départ, Christian RANUCCI était bien le coupable. Jamais donc, eux aussi, ils ne respecteront la présomption d'innocence. Et Gilbert COLLARD, le jeune avocat représentant la partie civile, n'aura aucun mal à aligner des faits dont la concordance pouvait démontrer la culpabilité de l'intéressé. Il mettra même tout en oeuvre avec le concours de l'avocat général VIALA et d'un président d'Assises remonté, pour briser le témoignage jugé peu crédible de Jeannine MATTEI, dernière à pouvoir contenir les allégations accusant le jeune RANUCCI. On avancera même le fait que cette Jeannine MATTEI qu'avait rencontré la mère de l'inculpé avait elle aussi un fils en prison aux Baumettes et qu'il convenait donc de se méfier de ce qu'elle pouvait avancer. Troublée et dans l'impossibilité d'ordonner parfois ce qu'elle avait à dire, ce témoin essentiel pour la défense sortira donc humiliée du tribunal menacée de poursuites pour fausses déclarations. Et on lui reprochera d'avoir récité une partition comme si elle l'avait apprise par coeur. Le père de la fillette assassinée, Pierre RAMBLA, la menacera lui-même de mort ! Sans que la défense vienne à son secours en évoquant une confirmation de témoignage, celle de Paul MARTEL que l'accusation avait superbement ignoré. Emportés par la vague de haine qui déferlait sur la France au moment du procès, et un avocat général, VIALA, qui avait d'ailleurs demandé la tête de RANUCCI dès le début de son réquisitoire avant de curieusement reprendre la parole en toute fin des débats ce qui aurait dû valoir au jugement d'être cassé, il sera impossible à Maître LOMBARD et Maître LE FORSONNEY de venir au secours de leur client. Cette conclusion de l'avocat général est du reste tout à fait regrettable car VIALA avait cru nécessaire de se lancer dans la divulgation de données erronées et fantaisistes confirmant son total mépris pour la vérité, données issues de pièces que l'on croyait perdues et qui n'avaient pas été communiquées à la défense. Il parlera en effet de Dyane au lieu de parler de Simca 1100 grise et d'un pull-over rouge devenu mystérieusement vert ! Scandaleux ! D'autant que cette intervention faite après la plaidoirie de Paul LOMBARD aurait dû être de nature à permettre de casser le jugement rendu pour vice de forme.
Le 12 mars 1976, les avocats du jeune homme formeront en effet un pourvoi pour que le jugement soit cassé, demande de pourvoi qui sera rejetée le 17 juin, alors qu'on aurait dû reconnaître que l'intervention du Procureur VIALA avait été inopportune et contraire aux dispositions prévues. On admirera au passage la justification d'un président de la République, savoir Valéry GISCARD d'ESTAING qui, dépassé par les événements, se basera sur une quasi-certitude de culpabilité pour envoyer le jeune RANUCCI à l'échafaud. Jusqu'au dernier instant, le jeune homme croira pouvoir bénéficier d'une grâce présidentielle persuadé à tort d'avoir été la victime d'une justice négligente et pour son avocat Paul LOMBARD, cette grâce ne faisait même aucun doute car il restait trop de doutes dans cette affaire pour qu'on exécute son client. Dix-sept fois, dira t-il, il avait défendu des condamnés à mort et seize fois il leur avait évité d'avoir la tête tranchée mais avec Christian RANUCCI ce ne sera pas possible, à son grand regret. Cela sera d'autant moins possible qu'au moment de cette demande de grâce on apprendra un nouvel enlèvement suivi de mort du petit Vincent GALLARDO qui a dû jouer un rôle dans le refus de grâce du Président GISCARD d'ESTAING. Certains se demanderont même si celui qui avait kidnappé et tué Vincent, tout comme pour Maria-Dolorès n'était pas le même homme, savoir l'homme au pull-over rouge, cela bien qu'on ait également évoqué, non cette fois-ci une Simca 1100 mais une Renault 17 voire une Alpine. Le doute qui subsiste encore aujourd'hui aurait dû profiter au client de Paul LOMBARD et de Jean-François LE FORSONNEY. Ce ne sera hélas pas le cas pour le jeune RANUCCI.
Images apocalyptiques, tout avait été fait pour que l'exécution ne provoque pas de charivari aux Baumettes ! On avait jeté sur le sol des couloirs menant de la cellule à l'échafaud des couvertures en laine pour que le pas des intervenants soit plus feutré ! Le jeune homme réveillé en sursaut par les gardiens croira d'abord à une agression sans imaginer que l'heure était venue de mourir ! Il refusera le verre de rhum et le prêtre mais acceptera une dernière cigarette ! Avant que sa tête ne tombe dans le panier, Christian RANUCCI aura cette supplique adressée à son avocat Jean-François LE FORSONNEY : « Maître, réhabilitez-moi ! » Ce que ce dernier entreprendra même indirectement, l'affaire ne s'arrêtant effectivement pas là. Car sa mère, Héloïse MATHON, multipliera les demandes en révision et, très vite, la presse et les passions se déchaîneront. Avait on guillotiné un innocent ? C'est la question que se sont longtemps posé ceux qui s'intéressaient à ce dossier ! A-t-on réellement envisagé toutes les pistes ? Certainement pas et les attitudes des différents enquêteurs montrent que l'on a sans doute ouvert assez souvent depuis le parapluie pour se protéger de l'orage. Ce pull-over rouge découvert près des lieux du crime et rendu célèbre par Gilles PERRAULT qui n'a jamais été celui de RANUCCI, appartenait-il au véritable meurtrier ? La police aurait-elle manipulé l’enquête et l’instruction menée par la jeune Ilda di MARINO l'avait-elle été seulement à charge ? Que de doutes qui inciteront à déposer des requêtes en révision. La première dès le 30 janvier 1979 sera rejetée par Alain PEYREFITTE, Garde des Sceaux sans qu'un élément soit étudié sérieusement. Mieux valait du reste couvrir le refus de grâce du Président GISCARD d'ESTAING. La seconde, étudiée sera également rejetée par ALBIN CHALANDON, mais plus par réaction à son prédécesseur Robert BADINTER que par volonté de se prononcer correctement. Avant qu'une troisième requête en révision déposée en novembre 1991 soit repoussée cette fois-ci par la commission de révision, comme l'avaient été les deux premières à des stades différents. Rappelons que depuis l’Ancien Régime, aucun condamné à mort exécuté n’a été réhabilité en France ! Certes, des condamnés au bagne comme le capitaine DREYFUS ou SEZNEC auront été réhabilités mais en revanche des condamnés qui ont eu la tête tranchée, jamais. Ce qui n'empêche pas les initiatives comme celle de Yann LE MEUR, lequel après la parution d'un ouvrage intitulé Le sang et l'encre, a clairement dit qu'il militerait pour une autre demande en révision. Parce qu'il était convaincu de l'innocence du jeune niçois. Dans un ouvrage paru bien après l'exécution, l'un des inspecteurs ayant mené l'enquête, un certain Mathieu FRATACCI ouvrira une nouvelle piste qui ne sera jamais étudiée, celle que le jeune Christian RANUCCI ait été homosexuel et qu'il se soit trouvé dans la champignonnière pour retrouver un amant de passage et que le pull rouge ait appartenu à cet amant. Une vérité qu'il aurait caché pour ne pas déplaire à sa maman Héloïse MATHON qui se serait effondrée en l'apprenant. Révision ou pas révision, depuis l'entrée en vigueur de la loi no 2014-640 du 20 juin 2014 sur la réforme des procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive seuls désormais le ministre de la Justice, le procureur général de la Cour de Cassation ou encore le procureur général d'une cour d'appel pourront demander une révision de ce procès.
Malédiction des malédictions, en 2005, trente-et-un ans plus tard, Jean-Baptiste RAMBLA, le frère de Maria-Dolorès, celui-là même qui n'avait pas reconnu RANUCCI comme étant le ravisseur et le meurtrier de la gamine, tuera sa patronne Corinne BEIDL âgée de 42 ans. Une Corinne qui connaissait bien la petite Maria-Dolorès pour avoir été à l'école avec elle au début des années soixante-dix ! Jean-Baptiste fera même l'objet de nouvelles poursuites pour avoir été accusé d'avoir tué une seconde fois une jeune femme de 21 ans, CINTIA à coups de cutter. Est-ce qu'il avait agi parce qu'il s'estimait être victime d'une société qui lui avait retiré l'affection de sa petite soeur en 1974 ? L'inconnu demeure.
Louis PETRIAC
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