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4 Mars 1982... Suicide de René Lucet, le Zorro de la Sécurité Sociale
Mort suspecte et suicide controversé, l'affaire ne sera jamais résolue et plus de quarante ans après la mort de René LUCET (ci-contre), l'une des têtes les plus en vue de l'administration marseillaise, les questions restent nombreuses. Rappelons que LUCET, 38 ans, père de deux jeunes enfants, dirigeait jusqu'au 4 mars 1982 l'une des caisses de la Sécurité Sociale les plus importantes du pays dans les Bouches-du-Rhône et qu'il venait d'être déchargé de ses fonctions par la nouvelle ministre socialiste de la Solidarité Nicole QUESTIAUX. On prêtait en effet au jeune encadrant des méthodes que certains jugeaient un peu trop musclées et qui avaient été dénoncées par la CGT voire la CFDT, méthodes qui auraient été jusqu'à provoquer ce renvoi. Le 10 février 1982, Nicole QUESTIAUX avait d'ailleurs annoncé à René LUCET qu'elle allait engager une procédure de suspension à son encontre, ce qui sera chose faite le 23, sans qu'il ait pu bénéficier des quinze jours de délai prévus par la convention pour s'organiser. Et c'est le 2 mars que la sentence était tombée, LUCET étant viré. Le lock-out décrété par le jeune patron de la C.P.A.M dans la nuit du 23 au 24 février avec le soutien de F.O et de quelques supporteurs avait-il été déterminant ? C'est probable.
C'est sans doute ces méthodes un peu musclées et un suicide que l'on ne s'explique toujours pas, qui seraient à l'origine de versions accréditant une mort couplée à l'exécution d'une sorte de contrat. Mais un contrat honoré pour le compte de qui ? René LUCET était entré à la C.P.A.M. de Melun en 1963 à vingt ans en tant qu'employé et poursuivant parallèlement ses études de droit sanctionnées par une licence en droit, il avait occupé ensuite un poste de rédacteur juridique après avoir obtenu le diplôme du CNESS (Centre National d'Études de la Sécurité Sociale). Le 5 novembre 1979, il était devenu le directeur de la C.P.A.M des Bouches-du-Rhône, une caisse qui ne fonctionnait pas correctement et qu'il avait entrepris de réformer. Effectivement, avec 800 000 dossiers en souffrance et 3 500 employés, cette caisse posait problème depuis de nombreux mois. De l'avis d'un grand nombre de ceux qui l'auront côtoyé, René LUCET n’était pas un tendre, mais plutôt un homme à poigne qui ne laissait rien passer. Syndicalement très hostile à la CGT, il était très proche du syndicat FO, et aussi, a-t-on dit, du S.A.C local de DOCHIER (Service d'Action Civique) dirigé en haut lieu par des gens comme Charles PASQUA. Ce qui pourrait expliquer certaines autres petites choses. Assainissement des finances oblige, il avait d'ailleurs mis un terme à la délégation de service public dont avaient bénéficié plusieurs mutuelles liées à la CGT, lesquelles jusqu'alors bénéficiaient contre rétribution de passe-droit dans la gestion des dossiers. Il avait également procédé au licenciement de plusieurs délégués CGT considérés comme des fauteurs de troubles, ce qui avait provoqué aussitôt une levée de boucliers chez la centrale syndicale. Appartenant à un mouvement de droite, René LUCET s'était ensuite très vite trouvé montré du doigt. Regard perçant, cheveux noirs gominés, mâchoire carnassière, allure conquérante, costume gris à rayures bien coupé, LUCET se serait-il senti menacé par quelque chose qu'il avait choisi de ne pas révéler, même à ses proches ? On ne le saura jamais.
Pour le journaliste Patrick PESNOT, ce suicide à deux balles aura fait couler beaucoup d'encre et il provoquera un véritable séisme politico-financier. Après avoir été débarqué la veille de ce 4 mars 1982, il aurait, selon son épouse, consulté de nombreux dossiers et aurait eu toutes les peines du monde à s’endormir… Jusqu’à ce fatidique petit matin. L'un de ceux que LUCET avait eu au téléphone le 3 au soir se souvient pourtant d'un homme qui ne paraissait pas du tout effondré par sa sanction et qui avait même blagué à propos de la ministre Nicole QUESTIAUX. Les deux hommes avaient prévu de se revoir le vendredi suivant. Il devait aller après coup chercher des cigarettes et des cartouches neuves seront effectivement retrouvées à son domicile, mais sans qu'aucun débit de tabac ne se souvienne l'avoir vu ce soir-là. Qu'avait-il donc fait dehors et qui avait-il vu avant de rentrer chez lui ? Le matin du drame, dans cette luxueuse villa du quartier Saint-Barnabé de Marseille, son épouse Françoise LUCET (ci-contre) revenant de la cuisine où elle était allée chercher un verre d’eau pour son mari, et qui attendra plus d'une demi heure avant d'appeler la Police, l'avait retrouvé inerte dans leur chambre à coucher. Il était couché sur leur lit en chien de fusil, le bras droit en arrière comme si la mort l'avait surpris dans son sommeil. « Venez vite, dira t-elle à l'un de ses quatre gardes du corps appelé au téléphone, je crois qu'il a fait une grosse bêtise ! Il était 6 heures 30 du matin et son époux aurait profité de son absence pour se donner la mort après s’être mis un oreiller contre le visage. René LUCET aurait paradoxalement tiré deux fois.
Son épouse affirmera que le premier coup de feu avait fait un bruit sourd à la différence du second, plus bruyant. Les policiers venus une seconde fois sur les lieux un peu plus tard pour vérifier certaines autres choses auront le sentiment qu'entre temps le ménage avait été fait dans la villa comme si on avait voulu cacher quelque chose qui n'avait pu être relevé lors d'un premier examen. La seconde fois plus d'un fait apparaîtra effectivement troublant et tout d'abord celui que René LUCET se soit suicidé de deux balles dans la tête. Car, selon les trois rapports d'autopsie, les deux balles tirées étaient mortelles et il était quasiment impossible que LUCET ait pu parvenir à se loger une seconde balle dans la tête avec autant de précision, d'autant que les deux balles tirées auraient emprunté le même orifice, ce qui est pour le moins curieux. Par ailleurs, le tir effectué avec son arme aurait dû entraîner un fort mouvement de recul de son bras d'au moins dix centimètres rendant donc ce second tir difficile. Et puis, le mourant aurait-il pu exercer une pression suffisante sur la gâchette afin de tirer la seconde balle ? Il sera ensuite démontré que l'un des policiers aurait curieusement lavé la main de LUCET après avoir relevé ses empreintes, ce qui a empêché de procéder à un test à la cire afin de déterminer si le mort avait réellement tiré ou si on ne l'avait pas un peu aidé à le faire. Et aussi que les projections de sang sur les murs avaient été effacées. Pour que du sang ait giclé jusqu'au plafond, c'est qu'il s'était produit quelque chose que l'on n'est pas parvenu à expliquer. Le rapport balistique lui-même contredira l'hypothèse du suicide. Enfin on s'apercevra lors de l'enquête que René LUCET avait fait réserver un billet d'avion pour Paris la veille de sa mort, ce qui est pour le moins surprenant car s'il avait eu l'intention de disparaître il n'aurait pas fait réserver de billet, marquant ainsi sa volonté de se rendre à l'invitation de Nicole QUESTIAUX. A moins qu'il ait voulu entretenir le doute une fois décédé.
C'est une jeune juge d’instruction de 31 ans, Bernadette AUGE qui sera chargée de l'instruction. Elle dessaisira aussitôt la Sûreté urbaine, qui lui donnait le sentiment d'avoir quelque peu cafouillé, et fera appel à la Police Judiciaire pour reprendre l'enquête. Le procureur VILATTE qui avait au début de l'enquête autorisé l'exhumation du corps pour procéder à certaines autres vérifications, sera bizarrement muté après s'être opposé à un premier rapport tendant à démontrer qu'il ne s'agissait pas d'un suicide mais d'un meurtre. Le rapport donnera même le sentiment d'avoir été revu et corrigé. VILATTE qui avait déjà longtemps attendu avant de nommer un magistrat instructeur sera promu à la Cour d'Appel de Paris. Trois autopsies seront effectuées sur le corps de René LUCET, ce qui montre l'état de fébrilité dans lequel se trouvaient les enquêteurs et magistrats lors de l'instruction du dossier. Néanmoins, en janvier 1988, six ans après les faits, Bernadette AUGE rendra une ordonnance de non-lieu, sans avoir pu éclaircir l'affaire.
Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (l'IGAS) soulignera que "le suicidé" ne s’était pas appliqué la rigueur qu'il avait décidé d'appliquer aux autres puisqu'on lui paiera quelques gardes du corps aux frais de la C.P.A.M. Première surprise pour l'IGAS : René LUCET avait coutume de recourir aux marchés de gré à gré, plutôt qu’aux appels d’offres, afin de contourner les règles de la concurrence en privilégiant certaines entreprises. Deuxième surprise : le fait que l’une des entreprises favorites de la caisse était la Coopérative d’entreprise générale du Midi (CEGM), présidée par un certain Jacques VENTURI, le fils de Dominique VENTURI un ancien gangster. Un examen du compte Frais de mission et représentation fera par ailleurs apparaître une croissance anormalement élevée puisqu'il apparaîtra que les encours avaient été multiplié par trente depuis l'arrivée de LUCET à Marseille et qu'ils atteignaient 135.000 € au cours de l'année 1981. Des caisses noires seront également retrouvées un peu partout. Ce qui est certain c'est que le patron de la C.P.A.M marseillaise vivait bien au-dessus de ses moyens et que la villa qu'il occupait avec les siens avait été acquise à un prix situé bien au-dessous de sa valeur réelle grâce aux VENTURI. Est-ce que LUCET en se sentant confondu avait décidé d'en finir, ou serait-ce la conséquence d'autre chose ? Une vaste entreprise de corruption autour de la municipalité de Marseille sera découverte. L'enquête menée après le suicide laissera subsister des doutes, notamment après l'implication des VENTURI dans l'affaire, la droite accusant le gouvernement et Madame QUESTIAUX d'avoir acculé le cadre de la C.P.A.M au suicide. La ministre de la Solidarité se défendra et affirmera qu'elle avait eu l’intention d’offrir un autre poste à René LUCET et qu'elle lui avait proposé un rendez-vous à son cabinet pour le 5 mars à Paris. On prétendra que c'est cette affaire qui aurait coûté son poste à Nicole QUESTIAUX, la gauche s'étant demandé s'il ne se serait pas agi avec ce suicide d'un meurtre, car René LUCET en savait trop sur certains financements politiques. Le journaliste Jean MONTALDO consacrera un ouvrage à cette sulfureuse affaire : 850 jours pour abattre René Lucet
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