• Pierre Jaccoud, le bâtonnier compromis

    Pierre Jaccoud, le bâtonnier compromis

    1er mai 1958, un peu avant minuit... Un vendeur de machines agricoles âgé de 70 ans du nom de Charles ZUMBACH est abattu chez lui à Plan-les-Ouates de quatre balles de revolver après avoir été également poignardé à trois reprises, mais son agresseur parvient à s'enfuir à bicyclette. Son épouse Marie qui s'était absentée pour assister à une réunion paroissiale entendra à son retour son époux avant qu'il soit achevé par quatre balles appeler à l'aide mais il sera trop tard. Face à un homme pointant son pistolet sur elle, elle réussira à l'éviter bien que touchée à son tour par un projectile. Apparemment, son mari s'est défendu. Les tiroirs de son bureau ouverts, un portefeuille sur la table, la scène fait penser à une tentative de cambriolage qui aurait mal tourné. Mais on est encore loin d'imaginer que cette tragique affaire mettra en cause l'un des hommes les plus connus de Suisse, le bâtonnier Pierre JACCOUD, un homme qui avait présidé la chambre des avocats de Genève de 1953 à 1955, et qui avait même été pressenti pour devenir ministre de la Justice. Il supportera mal d'être mis en cause d'autant que toute l'Europe s'était passionnée pour ce mystère avec vue sur les secrets d'alcôve de Genève-la-Pudibonde, une image qui collait parfaitement aux valeurs qu'elle défendait. Touché dans son narcissisme, l'inculpé tentera de mettre fin à ses jours à deux reprises. Il convient de préciser que Pierre JACCOUD était alors reconnu comme l'un des plus brillants de la ville de Genève où il résidait et qu'à 52 ans, il était à la tête d'un des plus prestigieux cabinets de l'endroit. Il était aussi député au Grand Conseil de Genève et membre du comité directeur du parti radical. L'homme était insoupçonnable pour certaines de ses relations et des dizaines de personnalités viendront témoigner en faveur de l'accusé. JACCOUD coupable ? C'était impossible. "Le condamner à la prison, ce serait le condamner à mort", avait annoncé son défenseur Me FLORIOT en mettant en garde leurs détracteurs. Ce qu'il fera. Fallait-il y voir le mal-être d'un homme au-dessus de tout soupçon... mais qui sera condamné pour meurtre ? C'est possible. L'histoire fera en tout cas la Une de tous les journaux européens dès le 18 janvier 1960, début d'un procès et d'une affaire complexe qui occupera la justice suisse jusqu'en 1980 !

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    Ce que l'on sait de cette histoire et de ce que les enquêteurs apprendront du fils de la victime, André ZUMBACH âgé de 27 ans et régisseur du son, c'est que celui-ci aurait eu une liaison avec l'ancienne maîtresse du bâtonnier JACCOUD, une ravissante secrétaire de Radio-Genève du nom de Linda BAUD (ci-contre), une collègue de travail que l'on connaissait également sous le nom de Poupette et que l'avocat aurait été désireux de récupérer au domicile des ZUMBACH des lettres compromettantes. Peut-être était-ce André que le voleur surpris avait voulu abattre et non son père ? Car il a effectivement été assassiné dans la chambre de son fils où jamais la victime ne pénétrait et où l'homme semblait avoir cherché des documents. André ZUMBACH précisera effectivement aux enquêteurs qu'une personne s'était renseignée sur son emploi du temps au standard de Radio-Genève, où il travaillait, quelques heures avant le crime. Femme libre, jolie et altière, peu sensible aux conventions, Linda BAUD n'aura pas les faveurs du public qui la voyait dans cette affaire comme une briseuse de ménages. Elle dira plus tard qu'elle connaissait Pierre JACCOUD depuis 1948, une époque où elle n'avait que 21 ans. Il était l'un des membres du conseil d'administration de Radio Genève. Ce seront plus de dix années d'une longue passion avec des lettres enflammées d'autant que les deux amants s'écrivaient quasiment tous les jours des lettres qui seront versées au dossier. Selon les dires de cette Poupette, pendant des années il lui avait donné un merveilleux bonheur entrecoupé, certes, de petits tourments sans doute dus à des excès de jalousie. Elle finira par le reconnaître elle-même : « Nous n'étions pas des êtres pour vivre béatement. On s'est posé des problèmes tout le temps, et quand on n'en avait pas on en cherchait ».

    Pierre Jaccoud, le bâtonnier compromisAlors qu'on avait tout d'abord suspecté des voyous louant un local chez les ZUMBACH, beaucoup d'indices finiront donc par amener les enquêteurs chez le bâtonnier et on arrivera à convoquer Maître JACCOUD (ci-contre) le 19 mai en le surveillant discrètement, sans toutefois l'empêcher de vaquer à ses occupations, y compris à l'étranger. Notamment avant qu'il revienne de Stockholm les cheveux teints en blond et cela au moment précis où l'on s'apprêtait à le confronter à l'épouse de la victime, Marie ZUMBACH, que le meurtrier avait bousculée lors de l'agression. Un déguisement qui paraîtra plus que suspect aux yeux des enquêteurs. Mais le bâtonnier prétendra que la teinture aurait été due à une maladresse du coiffeur chez lequel il s'était arrêté ! Confondu et ayant tenté de mettre fin à ses jours, il sera aussitôt mis aux arrêts. Il semble dans cette pitoyable affaire que le bâtonnier n'avait seulement voulu la peau que d'André ZUMBACH et non celle de son père. Le 18 janvier 1960 lorsque s'est ouvert le procès face à une centaine de journalistes et deux cents témoins, le ténor du barreau n'était plus que l'ombre de lui-même et il était si faible qu'on avait dû prévoir une chaise longue pour qu'il puisse assister aux débats en étant allongé. Neurasthénique et affaibli, il avait d'ailleurs passé toute sa détention préventive au quartier cellulaire de l'Hôpital cantonal, sujet à des évanouissements. Il sera pourtant condamné à sept ans de prison pour meurtre brutal. Malgré des preuves accablantes, un poignard et le bouton compromettant de son pardessus retrouvé au domicile de la victime, l'accusé ne cessera jamais de clamer son innocence, malgré les preuves accablantes figurant au dossier et après une querelle d'experts mémorable. Le 1er novembre 1974, longtemps après sa libération, les avocats de Pierre JACCOUD déposeront même une demande de révision. L'histoire de ce notable genevois, c’est avant tout celle d’une chute, de sa chute. Tous les indices l'accusaient, et pourtant, il continuera d’être défendu par bon nombre d'autres notables et de clamer jusqu'au bout son innocence. Peut-être parce qu'on imaginait difficilement qu'un tel homme armé d'un revolver et d'un poignard ait pu enfourcher une bicyclette [...] pédaler furieusement jusqu'à Plan-les-Ouates, puis qu'il se soit s'introduit dans une maison qu'il ne connaissait pas, [...] en tirant et en tuant sauvagement avant de s'enfuir et de rentrer chez lui avec un poignard sanglant qu'il posera dans une armoire après l'avoir lavé ! 

    Libéré le 30 mars 1963, Pierre JACCOUD a effectivement multiplié ensuite les recours pour que son affaire soit réexaminée et qu'il puisse être innocenté du crime dont on l'avait accusé. De victoires en défaites, en 1980, il renoncera. L'ancien avocat devenu un brillant conseiller mourra en 1996.  

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