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Le sinistre camp des Milles
Le camp des Milles, un austère bâtiment de briques rouges hérissé de deux cheminées, à l'origine une tuilerie située au cœur de la campagne près d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) va devenir un camp de transit et d’internement, puis de déportation de septembre 1939 à décembre 1942. Ouvert par le gouvernement DALADIER au début de la guerre, en septembre 1939, le camp des Milles a d’abord servi de lieu d’internement pour les ressortissants du Reich, considérés comme des « sujets ennemis », qui étaient notamment d’authentiques antifascistes qui avaient fui le nazisme sévissant dans leur pays d’origine pour venir se réfugier en France. Considérés paradoxalement et tragiquement comme des "sujets ennemis", les internés étaient victimes d'un mélange de xénophobie, d'absurdité et de désordre administratifs ambiants et vivaient dans des conditions d'une précarité extrême. En juin 1940 après la défaite française et la signature de l'armistice, se situera un épisode qui a été popularisé par le "Train des Milles", un film de Sébastien GRALL. À partir de juillet, sous le régime de Vichy, le camp se trouvera rapidement surpeuplé comptant jusqu'à 3 500 internés. Au cours de cette période seront transférés aux Milles des étrangers anciens des Brigades internationales d'Espagne ainsi que des Juifs expulsés du Palatinat, du Wurtemberg et du pays de Bade. En novembre 1940, le camp, passé sous l'autorité du Ministère de l'Intérieur, deviendra le seul camp de transit en France pour une émigration Outre-Mer, transit régulier ou illégal avec l'aide de particuliers, d'organisations ou de filières locales et internationales.
A partir d'août et septembre 1942 seront internés ceux que l'on dirigera ensuite vers Drancy ou Rivesaltes en vue d'une déportation vers Auschwitz de plus de 2 000 Juifs, hommes, femmes et enfants. Vichy acceptera ainsi de livrer 10 000 Juifs de la zone dite "libre" à l'Allemagne. Au début du mois de juillet 1942, LAVAL proposera même d'inclure les enfants âgés de moins de seize ans dans les déportations. S'y succéderont près de 10 000 internés originaires de 38 pays, parmi lesquels de nombreux artistes et intellectuels. Le 3 août, le camp sera bouclé. Femmes et enfants juifs de la région seront orientés vers les Milles pour rejoindre les autres internés avant d'être à leur tour déportés. Comme l'a montré un reportage effectué, certaines femmes refusant d'être déportées se jetteront du deuxième étage. Les Juifs réfugiés politiques ou étrangers ayant servi dans l'armée française ne seront pas davantage épargnés. Et une centaine d'enfants sont ainsi déportés à partir de l'âge d'un an. Au total, cinq convois seront constitués. En réaction, des hommes et femmes courageux aideront les internés et les déportés. Ces événements surviendront avant même l'occupation allemande de la zone Sud de novembre 1942. Après le mois de septembre 1942, le camp, demeurant un centre de transit, vivotera et ses derniers occupants, très peu nombreux, quitteront ses murs de briques en décembre 1942. Manfred KATZ qui avait été interné au camp des Milles et qui parviendra à être libéré d'un train se souviendra de cette épreuve. « On avait tellement peur que, quand on a commencé à embarquer les gens aux Milles, des gens, des femmes surtout se sont jetés du deuxième étage du bâtiment par terre, préférant mourir plutôt que d'être embarqués dans les wagons. (…) Imaginer ce qu'il allait se passer, c'était une vue de l'esprit. Ça ne nous a même pas touché. Ça n'allait pas être joyeux ce qui nous attendait… Mais qu'on allait nous exterminer en masse, c'était une chose qu'on ne pouvait pas imaginer ».
En 1946 et jusqu'en 1981, le site retrouvera ensuite une activité industrielle avant de devenir en septembre 2012 un site mémorial. Malgré les travaux des historiens entrepris et consacré au seul camp français d’internement encore intact, l'ensemble a été remarquablement pensé, non comme un simple lieu de transmission du passé mais aussi comme un centre d’enseignement pédagogique pour lutter contre le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme. Les vastes espaces du site-musée dépeints par le média La Croix, rappellent les événements qui ont conduit à l’accession au pouvoir d’Adolf HITLER, puis à la guerre et aux massacres de la « solution finale. » Au rez-de-chaussée du bâtiment, s’alignent les fours où les ouvriers faisaient en leur temps cuire briques et tuiles. « C’est des chambres à gaz ? », interroge un garçon un peu inquiet. Avec pédagogie, Matthieu explique que les lieux, s’ils ont été « un des rouages de la machine de mort nazie », n’ont pas servi à l’extermination des prisonniers, mais à leur internement avant leur déportation. Les collégiens s’étonnent de voir qu’un de ces fours voûtés, baptisé Die Katakombe, était devenu un cabaret sous l’impulsion des nombreux artistes qui, comme Max ERNST, ont séjourné entre ces murs. Au second étage, sous la charpente de béton armé, l’émotion saisit les visiteurs. Dans ces dortoirs, on étouffe en été et on gèle en hiver. D’une fenêtre, élèves et accompagnateurs ont une vue plongeante sur un wagon de bois noir. « On entassait les gens à quatre-vingts là-dedans, souligne Matthieu GAY. Le wagon pouvait rester quarante-huit heures, bondé, avant de partir pour Auschwitz. Alors, de l’endroit où vous vous trouvez, on entendait leurs cris… » Le médiateur rappelle les tentatives de suicide par défenestration, notamment d’une mère et de ses deux enfants, « appelés » pour le prochain convoi. « C’est horrible… », souffle une jeune fille, ébranlée. « Cette visite, elle prend aux tripes », lâche Obaïda BENSALEM qui est professeur d’éthique musulmane au collège Avicenne. « Elle s’inscrit dans un certain nombre de projets et d’initiatives interreligieuses que nous menons à l’année. Leur but est d’abord pédagogique : il s’agit de favoriser l’ouverture d’esprit des élèves et leur enrichissement culturel », explique l’enseignant.
Tags : camp, 1946, milles, internes, femmes
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