• Gabrielle Russier, l'amoureuse incomprise

    Gabrielle Russier l'incomprise

    Gabrielle Russier, l'amoureuse incompriseÀ la suite d'une liaison amoureuse avec un de ses élèves, Christian ROSSI, un adolescent barbu de presque dix-sept ans qui en faisait facilement trois de plus, beaucoup se souviennent encore que Gabrielle RUSSIER, une jeune professeur de lettres de 32 ans, avait été condamnée en juillet 1969 à un an de prison avec sursis pour enlèvement et détournement de mineur. Condamnation qui avait vu le Parquet de Marseille faire aussitôt appel avec l'espoir de voir cette condamnation portée à treize mois, afin qu'elle empêche la jeune femme d'être amnistiable et en mesure de reprendre la classe, faute d'être parvenue à effacer son délit de son casier judiciaire. Redoutant d'être virée de l'Education Nationale, écoeurée, Gabrielle RUSSIER finira par se suicider le 1er septembre 1969 au onzième étage de son appartement marseillais en ouvrant le gaz, quinze jours avant son second procès, admettant que l'affaire qui lui avait valu un bien mauvais procès l'avait abîmée intellectuellement et physiquement. Cette histoire suscitera après coup de nombreuses œuvres artistiques comme le film d'André CAYATTE, Mourir d'aimer (1971), et cette magnifique chanson de Charles AZNAVOUR, Mourir d'aimer (1). C'est Annie GIRARDOT qui interprétera le rôle de la jeune enseignante dans le film de CAYATTE (extrait vidéo ci-dessous).

    Ainsi Gabrielle, condamnée par la justice des hommes et incarcérée une première fois à l'automne 1968 aux Baumettes après une plainte des parents du jeune homme n'enseignera plus au Lycée nord de Marseille, là où était né un an plus tôt durant la fronde de mai 1968 une très belle histoire. Celle d'une jeune maman qui élevait seule ses deux enfants après avoir divorcé de son époux et qui était tombée amoureuse de l'un de ses élèves encore mineur au moment des faits. Tout cela reste quelque chose de profondément injuste car pour Gabrielle qui avait mis en sourdine sa vie sentimentale pour s'occuper de sa maman, ce coup de coeur c'était surtout une sorte de bouée de secours, pour ne pas sombrer. Cela a même valu, comme le confiera un juriste à un média, une condamnation exceptionnelle, car à l'inverse de certains autres faits opposant un agresseur masculin à de jeunes étudiantes, il n'y avait pas eu de violence. Pour Maître Albert NAUD, un ténor du barreau que son père avait approché et qui devait défendre Gabrielle en appel, cette accusation c'était abominable. Cinquante ans plus tard, que reste-t-il de ce fait divers ? Pas grand-chose sinon une rubrique que Christophe HONDELATTE lui a consacrée sur Europe 1. Et peut-être aussi le sentiment qu'on avait pris cette pauvre Gabrielle pour un monstre alors que, comparée à l'histoire intéressée d'une autre enseignante devenue célèbre en mai 2017 et qui s'en est sortie bien moins mal, elle était, elle, à mille lieues de la moindre rouerie. Ce qui montre aussi en ces temps de laxisme que, ce qui était encore vrai il y a un demi siècle, ne l'est plus aujourd'hui, car on tolère des agissements qui devraient être sanctionnés et qui ne le sont pas. Comme l'affaire d'une certaine enseignante #jeanmicheltrogneux qui, déguisé en femme, poursuit une carrière de menteuse professionnelle. Dans cette affaire qui a connu un dramatique épilogue, il s'est aussi agi d'une sorte de règlement de compte politique. "Ne m'en veuillez pas, je suis à bout de forces, écrira-t-elle. Parce que la lucidité et la compréhension des choses et des êtres ne m'ont servi à rien. On me répète par les papiers que je reçois, que je suis coupable et j'en arrive à envier ceux qui le sont vraiment, qui rient dans la cour. Je ne pourrais plus jamais rire. On a fait une montagne avec rien. On me garde ici pour des faits très anciens nullement répréhensibles. Je n'arrête pas d'essayer de comprendre. Je tourne, je tourne dans ma tête les idées les plus noires. Je ne sais plus raisonner, réfléchir. J'ai peur pour les enfants. J'ai si peur. Gabrielle Russier".

    Gabrielle Russier l'incompriseMais que reprochait-on au juste à Gabrielle RUSSIER en 1969 ? A une époque où l'autorité paternelle avait commencé à voler en éclats au moment des barricades ? De réunir chez elle certains de ses élèves pour leur parler, voire de les guider dans leurs lectures et d'être allée manifester avec eux à Marseille ? Comme si cette histoire d'amour entre barricades et embrassades aurait pu déranger la société française ? Pire, avant l'affaire, l'enseignante, brillante et indépendante, était promise à un poste à l'université. Une fois majeur, le jeune Christian dira plus tard au Nouvel Observateur, qu'il n'aimait pas les promesses ni l'idée du mariage, et qu'il n'en était pas à sa première aventure, mais qu'il avait aimé sans doute pour la première fois une Gabrielle, entière, idéaliste, au point de lui écrire une lettre par jour lorsqu'on le forcera à s'exiler à Argelès dans les Pyrénées pour l'éloigner d'elle. "C'était de l'amour, admettra-t-il. La passion, ce n'est pas lucide. Or, c'était lucide". Comme l'écrira Le Monde dans l'un de ses articles, le minois de chat et les enthousiasmes littéraires de Gabrielle, la peau transparente d'une enseignante restée jeune et privée de vie affective, enchantaient les élèves de seconde du lycée Nord. Seulement les fugues à répétition du jeune homme de 17 ans avaient du mal à être tolérées par des parents eux aussi enseignants qui, s'estimant dépossédés de leur garçon, décideront de porter plainte en novembre 1968 contre celle qui avait même été quelques années plus tôt leur élève. Et comme Gabrielle refusait de révéler où se cachait le jeune homme en révolte, elle sera emprisonnée aux Baumettes. Jusqu'à ce qu'un véritable acharnement et un internement psychiatrique ne viennent à bout de l'envie du jeune homme de rester aux côtés de sa prof adorée.

    Pour l'auteure Annie ERNAUX, Gabrielle RUSSIER n'est pas morte d'aimer mais broyée par une machine judiciaire dans un engrenage où l'on trouve les institutions de la Famille, de l'Université et de la Justice unies comme jamais pour envoyer quelqu'un en prison. Parce qu'elle avait contrevenu aux rôles de mère, de prof et de femme tout court à qui est interdit ce qui est accepté chez les hommes, avoir dix ans de plus que son amant !

    (1) Les parois de ma vie sont lisses, je m'y accroche mais je glisse, lentement vers ma destinée, mourir d'aimer. Tandis que le monde me juge,...

      

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